Aude Bouquine

BLOG LITTÉRAIRE

Sylvain Bragonard exerce un métier peu conventionnel, mais pourtant essentiel, celui de thanatopracteur : pour quelques heures, il redonne aux morts un sursaut de vie. Pour cela, inutile de se fier à une photo donnée par la famille, Sylvain possède une méthode bien à lui : Il renifle les cadavres, et par les odeurs qui s’en dégagent, il parvient à reconstituer leur personnalité. Un vrai don pour ce Bragonard, qui, a une lettre près, suivait les traces d’un parfumeur bien connu. D’ailleurs, parfumeur était bien la carrière que Sylvain envisageait avant… un terrible drame personnel. Taiseux, taciturne, peu sociable, le Bragonard est un animal triste qui préfère la compagnie des morts à celle des vivants. Mort, il l’est d’ailleurs un peu, métaphoriquement j’entends. Il n’y a véritablement que ses horribles habitudes alimentaires qui provoquent suffisamment de secousses pour que son corps réagisse encore un peu. Alors, quand Alice entre dans sa vie, c’est comme un tremblement de terre de force 8 sur l’échelle de Richter. Alice écrit une thèse sur les thanatopracteurs, elle tutoie ceux qui côtoient la mort, mais elle est bien vivante. Solaire, drôle, pleine de vie, Alice est tout l’inverse de Sylvain. Son premier objectif est de lui arracher un sourire (et ça, ce n’est pas gagné…) et de percer à jour le secret de cet embaumeur cadavérique, suceur compulsif de bonbons à la menthe, force 8 !

« Le parfum des cendres » appelle tous les sens, et pas seulement ceux liés aux corps en décomposition : c’est la grande force de ce roman. À travers les odeurs, ce sont des vies entières qui apparaissent sous nos yeux. Sous ses airs grincheux, Sylvain est un véritable poète des sens. Il ne voit pas les existences fauchées, il en devine la beauté avant qu’elles se soient définitivement arrêtées. La puissance de ces odeurs ouvre grand les champs des possibles de l’imagination et grâce à Sylvain, le lecteur est en mesure de sentir, puis de ressentir. Marie Mangez utilise une précision redoutable pour décrire les parfums afin de permettre cette transmission olfactive nécessaire pour pénétrer l’univers de Bragonard. Il faut avouer que le début du récit m’a laissée perplexe… et si cette lecture ne s’était pas faite en audio, sans doute aurais-je abandonné. Encore une fois, la lecture audio a tout changé. La voix de Sophie Frison éclaire ce texte de son dynamisme et de sa jovialité. Sophie Frison a l’enthousiasme communicatif, c’est le moins que l’on puisse dire ! On sent qu’elle a pris un plaisir immense à lire cette histoire et lui a donné toute l’émotion qu’elle mérite, parfois tragique, parfois drôle. Un vrai talent d’actrice puisqu’il lui faut ici naviguer entre la voix de Sylvain, et celle d’Alice, deux personnalités que tout oppose, deux voix singulièrement différentes. Cette alternance, très réussie, suscite des moments de rire, des instants de tendresse, et parfois, l’apparition d’une boule d’angoisse au fond de l’estomac. Qu’a donc vécu Sylvain pour s’empêcher à ce point de vivre ? Comment parvenir à lui faire comprendre qu’il existe encore de belles choses à expérimenter ? Alice s’y emploie à grand renfort de musique qu’elle fait hurler dans le camion mortuaire, Sophie Frison l’accompagne dans cette mission « sauver Sylvain » en y mettant un vrai cœur à l’ouvrage, comme si, sans se connaître, ces deux femmes avaient un même but. Sans doute est-ce là toute la magie des versions audio… faire prendre conscience que les mots ont une âme, qu’ils ne noircissent pas seulement les pages, mais qu’ils sont aussi vivants. 

« Le parfum des cendres » fait revivre de façon tendre et sans tire-larme les existences des morts en focalisant sur ce thanatopracteur bien en vie, mais dévasté de l’intérieur. Tous les sens du lecteur sont continuellement maintenus en alerte. Les petits intermèdes musicaux proposés dans la version audio accentuent la musicalité des mots. Et l’ardeur de la lectrice est contagieuse. Une très belle expérience à tenter. 

8 réflexions sur “LE PARFUM DES CENDRES, lu par Sophie Frison – Sortie Audiolib le 15 décembre 2021. Écouté dans le cadre de la sélection pour le prix Audiolib 2022.

  1. Yvan dit :

    Respirer le noir ;). Voilà une approche originale ! C’est intéressant ce que tu dis par rapport au ressenti différent entre la lecture et l’écoute d’un récit

    1. Aude Bouquine dit :

      J’ai tellement pensé à ta collection !! C’est très difficile de décrire les odeurs mais l’auteur le fait vraiment très très bien. L’expérience Audiolib aura vraiment ouvert des horizons, certains textes prennent tout leur sens quand le lecteur est vraiment bon. A contrario, il est très difficile de suivre un thriller à tiroirs ou un roman fantastique pour moi. Dans ces cas précis, la lecture papier est indispensable.

      1. Yvan dit :

        oui je pense qu’il y a vraiment des histoires qui se prêtent mieux à l’audio que d’autres. Quant à faire passer le ressenti des sens, oui c’est tout un art !

  2. Tu vois sans te lire je ne serai pas allée vers ce livre mais ton ressenti lui a donné vie et je suis très curieuse de le découvrir

    1. Aude Bouquine dit :

      Il fait du bien au moral en lecture audio ! La narratrice est vraiment chouette et qu’est ce qu’elle m’a fait rire !!

  3. laplumedelulu dit :

    Si tu mets de 8 à tout le monde, moi je te mets un 10. Merci à toi Aude. 🙏😘

  4. Il est vrai que Sophie Frison a l’enthousiasme communicatif. Son interprétation est vraiment formidable et je trouve qu’elle apporte vraiment un plus à l’histoire.

    1. Aude Bouquine dit :

      Toi aussi tu as ri ? Alice est excellente ☺️

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