Joli titre que ce « Un jour viendra couleur orange » pour un roman aux couleurs arc-en-ciel où la désespérance flirte avec la misère sociale. « Mais la misère, c’est pas de savoir le prix des choses, c’est de ne pas pouvoir se les payer. » Sous fond de guerre sociale, Grégoire Delacourt explore le conflit des gilets jaunes de l’intérieur, les espoirs, les rancœurs, les injustices flagrantes et le pouls d’une France qui bat malgré les disparités. « Le courage entraîne l’espoir. Et l’espoir fait battre les cœurs. Prendre les armes. On veut juste une vie juste (…). Allez, on demande pas la lune. Juste un bout » Ça c’est pour la toile de fond, parce que derrière cette atmosphère suffocante, il crée plusieurs personnages lumineux qui jaillissent telles des étoiles pour éclairer la nuit.
J’étais loin de la France lors des manifestations des gilets jaunes. Je n’en savais que ce que j’en voyais à la télé, ou sur les grands titres des articles de presse. Je n’avais pas perçu la désespérance, le désenchantement, l’amertume, le dégoût de cette France qui crève face à des inégalités flagrantes. Grégoire Delacourt m’a plongée au cœur des ronds points, en compagnie de ces révoltés, pour dépeindre un conflit vécu de l’intérieur, un conflit qu’il fait vivre avec ses tripes, sorties tout droit de sa plume, en pointant du doigt les écarts, les injustices, les désillusions. « Tout le monde le sait, un groupe humain se constitue par l’exclusion d’une ou plusieurs personnes. »
Au gré des chapitres qui portent chacun le nom d’une couleur, il y a Pierre. Pierre, humilié d’avoir perdu son travail, humilié de n’avoir décroché qu’un poste de vigile à mi-temps, humilié d’avoir un enfant « différent ». Pierre qui fuit pour se lancer dans un autre combat que celui de son propre foyer habité par Geoffroy, son enfant « avec rien dedans » et Louise, qui aide les hommes à mourir avec dignité, en soins palliatifs. Pierre est un homme en colère contre la vie, et cette colère le consume tout entier. C’est aussi cette colère qui le maintient en vie. Alors, chaque samedi, il raconte la France d’aujourd’hui : la colère, la montée du racisme, la peur de la différence, la vie des quartiers dans lesquels on ne va pas. Ceux qu’on appelle la France d’en bas.
Grégoire Delacourt m’avait habituée à une plume plus douce, plus tendre. Ici la révolte gronde. Et pourtant, il met dans ce texte la sublime élégance de deux êtres purs qui s’aiment, mais aussi de l’amour qui se meurt. Geoffroy devient l’exemple de celui qui sait se protéger « Vivre dans son propre monde était la seule façon d’en protéger toutes les promesses, toutes les richesses. » Ce roman est truffé de faits comme le Premier ministre qui prend un jet privé pour parcourir 255 kilomètres, ou d’une haute fonctionnaire qui présente une facture de 48.000 euros de frais de taxis, pendant qu’une partie de la population crève. Ça fait mal. « C’était la pauvreté qui séparait les hommes. Qui les divisait. Engendrait les ultimes violences. »
Ce roman demande de savoir prendre un certain recul pour en apprécier les messages et les personnages. Il est dérangeant. Il m’a dérangée… Il a suscité de la honte pour ce que je possède et que les autres n’ont pas, pour les malheurs auxquels je ne suis pas confrontée, les métiers dévalorisants et frustrants, le vécu des soignants qui tiennent les mains des mourants. D’une certaine manière, il m’a fait me sentir misérable, pitoyable, insignifiante et inutile. Grégoire Delacourt m’a mise en face des réalités du monde, en face de la propre réalité de mon existence dont la vacuité futile est mise en lumière. Pour moi, cela aura été une lecture douloureuse, malgré la lumière, malgré des personnages entiers… Ce n’est jamais facile de prendre la réalité en pleine face, de manière si violente. Elle vous laisse exsangue, pitoyable, habitée par un nœud à l’estomac qui reste présent longtemps. Le pouvoir de la littérature est de transmettre des émotions, même douloureuses. En ce sens, c’est réussi pour ce roman. Il faut être préparé. Rien ne vous sera épargné.