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REGARDER LE NOIR, sous la direction d’Yvan Fauth – Belfond, sortie le 11 juin 2020.

« Regarder le Noir » est le tome 2 d’un projet singulier mené par Yvan Fauth. Comme il n’aime pas parler de lui, je vais m’octroyer le droit de le faire, juste deux minutes. Il mettra toujours en avant les auteurs, sans lesquels ce recueil n’existerait pas, mais l’idée de base est la sienne. Rendons à César ce qui est à César. Yvan est l’une des personnes les plus passionnées de littérature noire que je connaisse (si vous ne connaissez pas son blog, vous avez raté votre vie de lecteur). Fidèle en amitié, respectueux de la parole donnée, incroyablement humain, bienveillant autant qu’il est possible de l’être (d’ailleurs le mot semble avoir été inventé pour lui) et dénicheur de talents. Ce qu’il aime c’est découvrir, fouiner, imaginer. Aller en librairie avec le monsieur c’est la ruine assurée.

Son but ? Redorer le blason de la nouvelle, genre quelque peu oublié en littérature. C’est aussi l’occasion de découvrir la plume de certains auteurs ou de les redécouvrir dans un genre différent que celui du roman. Chaque volume du recueil traite d’un sens différent. Après l’audition, les auteurs ont planché sur la vue. Regarder c’est diriger volontairement ses yeux sur quelque chose ou sur quelqu’un pour le voir. C’est aussi fixer quelqu’un bien en face, droit dans les yeux, c’est observer. Dans un second temps, regarder c’est encore considérer ou envisager de telle ou telle manière, être concerné ou être orienté. Les auteurs qui se sont prêtés à l’exercice ont chacun leur propre définition du verbe regarder, pas toujours au sens premier. Ils ont chacun leur propre vision et nous en livrent leur interprétation. Un genre commun les rassemble : le Noir.

Alors ces auteurs, on en parle ? Pour ce second volume, Yvan a su convaincre une belle brochette de talents : il faut dire que son pouvoir de persuasion est énorme. Qui oserait lui refuser quoi que se soit ? Je vous propose de faire ensemble une petite promenade bucolique dans « Regarder le Noir », histoire de vous convaincre que la chose à faire est de courir chez votre libraire, parce que votre libraire vous aime, et refuser cet amour serait criminel.

Regarder les voitures s’envoler. Quel titre étrange Monsieur Norek pour parler de deux adolescents abîmés par la vie. Joshua, 13 ans a une seule passion : observer. Alors, lorsqu’Esther 14 ans, et ses grands yeux bleus emménagent dans la maison juste à côté, c’est la perspective de longues heures de contemplation qui s’annoncent. Une nouvelle machiavélique pour ouvrir le recueil, c’est tout ce qu’il faut au lecteur pour plonger. L’ingénuité et la candeur des adolescents font de ce texte un ravissement…noir à souhait.

Nuit acide. Julie Ewa aime nous faire voyager vers des contrées lointaines et méconnues. Le petit garçon de cette nouvelle, Sabbir, réalise combien la nuit peut s’abattre très vite sur le monde, particulièrement sur le sien… et pas toujours pour laisser place à la tranquillité et la quiétude. Julie a l’art et la manière de nous raconter le monde, et pas celui de Beverly Hills. De quoi provoquer un certain malaise….

The Ox. Un titre en anglais maintenant ! Frédéric Mars veut nous raconter une histoire de bœuf. Oui, Ox ça veut dire bœuf… Étrange… Vous allez très vite comprendre que l’auteur avait d’autres idées en tête, et des idées, comment dirais-je cela avec élégance… un peu plus grivoises. The Ox est un endroit à part, caché dans le Londres confidentiel. Peut-être aurez-vous envie d’aller vous y aventurer. Le concept semble vraiment intéressant et extrêmement novateur, car dans the Ox, la nuit est libératrice « c’est en privant de lumière qu’il révèle chacun à lui-même. » Allez, une petite escapade, ça vous dit ?

Le Mur. Dans cette nouvelle, Claire Favan va vous surprendre. Elle n’est pas exactement dans le domaine littéraire où on l’attend… Et pourtant, cette nouvelle a eu un bel effet sur mon imaginaire. Sur le Havana Bay, des hommes aux pourcentages très différents cohabitent suite au Minamata. Ça vous paraît obscur comme résumé ? C’est un peu normal, c’est fait exprès. Vous verrez, quand on prend des risques, ça peut donner un résultat surprenant.

Demain. Être capable de percer les mystères de l’avenir… Don ou malédiction ? Et quand on s’appelle Chance, est-on protégé des vicissitudes d’un futur incertain ? René Manzor vous a concocté une nouvelle redoutable qui commence comme une scène de cinéma, dans laquelle ce don « pied de nez », avec lequel on joue un peu et dont on pourrait se moquer en l’utilisant de manière mensongère, devient un don réel qui permet bien des privilèges ou des malédictions. À vous de voir ! La fin est terrible !

Transparente. Qui laisse passer entièrement la lumière. Se dit aussi d’une personne dont on peut facilement deviner les sentiments et les pensées. Hélène, l’héroïne de cette nouvelle est transparente, surtout avec elle-même : elle analyse parfaitement bien les réactions de son entourage à son encontre. Amélie Antoine, une de mes conteuses du quotidien préférée, raconte ce sentiment exaspérant. Mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles y paraissent et souvent, elles tournent mal…

Anaïs. Fabrice Papillon ne nous emmène pas dans une exploration temporelle historique, à la différence de ses romans. Au contraire, monsieur Darcy a les deux pieds bien plantés dans le réel… Enfin, si on peut dire. Dans sa tête, ils sont plusieurs. Regarder le noir c’est aussi explorer sa propre folie, au risque de s’y perdre jusqu’à la fin des temps. Fabrice Papillon nous entraîne dans les méandres ténébreux du cerveau.

La tache. « Regarde le noir, il est ton inspiration » Gaëlle Perrin-Guillet explore les petits riens qui deviennent de réelles obsessions. La lecture de cette nouvelle m’amène à m’interroger sur les angoisses ressenties par les écrivains du noir et leur capacité à les coucher sur le papier plutôt qu’à se laisser dévorer par elles. « Il est inutile de fuir devant le noir. IL sait où vous êtes. Il vous attend. » Regarder le noir en face permet à l’écrivain de cette nouvelle d’écrire à une vitesse éclair, mais à quel prix ?

Private eye. Doit-on encore présenter R.J Ellory qui contribue une fois encore au recueil ? Cette nouvelle, toute en introspection est redoutable de machiavélisme et de manipulations. Au cœur du couple, entre un flic traqueur de monstres et sa femme, la bienveillance incarnée, indulgente devant la pression quotidienne subie par son époux, le lecteur plonge dans les bonnes dispositions de l’un et de l’autre pour parvenir à l’harmonie parfaite. De quoi donner des idées à certains…

Tout contre moi. Voici un texte que j’ai dû lire deux fois tellement je n’étais pas sûre d’avoir compris où Johana Gustawsson voulait réellement en venir. La passion dévorante, qui épuise, tenaille, taraude, crucifie. Les sentiments exacerbés qui se mêlent aux souvenirs d’une enfance que rien ne peut effacer et l’annihilation totale du moindre pardon. Un texte extrêmement puissant, une fin qui laisse le lecteur exsangue.

Darkness. Le duo de choc Barbara Abel — Karine Giebel reprend du service pour clore ce recueil. Elles ont mijoté une nouvelle dont vous ne pourrez imaginer la fin. Diabolique à souhait, elle est axée sur la vue au sens propre. Deux héroïnes, entre la liberté du choix du noir en pleine conscience et la certitude que la nuit peut être plus lumineuse que l’obscurité. L’élégance des mots, des virtuoses de situations complexes qui se rejoignent comme par magie.

La balade est terminée. J’espère qu’elle aura suscité une irrésistible envie de vous plonger dans « Regarder le Noir ». Les auteurs y ont mis tout leur cœur, leur talent et leur imagination pour proposer des textes originaux, denses, captivants et cela se sent. Il y a une énergie formidable dans ce recueil et l’alchimie est parfaite. On en veut encore !

ECOUTER LE NOIR, sous la direction de Yvan Fauth – Belfond, sortie le 16 mai 2019.

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