Aude Bouquine

Blog littéraire

J’aurai énormément de choses à dire sur le dernier roman d’Aurélie Valognes, mais je vais essayer d’être concise. C’est l’histoire d’un petit garçon qui ne colle pas au système scolaire, un enfant qui n’entre pas dans les cases. Alors, on le juge, on le blesse on le tyrannise avec des mots. « Il commençait à en avoir assez des étiquettes qui grattent, des gommettes qui collent et des cases trop étroites dans lesquelles les adultes s’obstinaient à l’enfermer. » Toute sa scolarité sera une lente descente vers les abîmes de la perte de confiance en soi, jusqu’à être persuadé être « encore plus un moins que rien ». Les instituteurs qui jalonnent sa vie durant ses années d’école d’élémentaire sont d’une férocité verbale sans nom, de ces paroles prononcées qui restent gravées à tout jamais. « Je ne vois pas quel avenir pourrait s’ouvrir à lui, à part peut-être “essayeur de matelas” ». Lorsque Gustave arrive en sixième, il rencontre la prof de français qui va changer sa vie : Céline Bergamote. Elle est la seule à croire en lui et à pouvoir lui redonner confiance. Elle est celle qui ouvre le cahier des rêves…

Les romans d’Aurélie Valognes me font toujours du bien et c’est donc avec beaucoup d’impatience que j’ai ouvert celui-ci après une lecture assez anxiogène. En ces temps difficiles où tout le monde est préoccupé, c’était la possibilité d’une île vers laquelle me raccrocher. Les choses ne se sont pas tout à fait passées de cette manière, mais pour que vous puissiez comprendre, il faut que je vous raconte quelques pans de ma vie. Ma fille de 10 ans a toujours aimé à l’école. Elle a passé six ans dans le système scolaire américain, elle y a même appris à lire. Elle a appris la confiance en soi en présentant dès le plus jeune âge des exposés à ses camarades. Elle a bénéficié de cette approche bienveillante où les points forts sont toujours mis en avant et les faiblesses présentées positivement. Son entrée en CM1 à l’école française a considérablement changé la donne. Pour qu’elle puisse continuer à garder son anglais, nous avons jugé que l’école internationale (privée) était la meilleure solution : les bonnes notes en anglais devaient contrebalancer les mauvaises en français, car il lui fallait rattraper 3 années d’apprentissage de la langue. Les cours de français sont rapidement devenus un cauchemar… Les maux de ventre ont augmenté, le stress a explosé même lorsqu’il fallait faire les devoirs à la maison, certaines fois nous nous sommes retrouvées devant l’école sans pouvoir y entrer, devant faire demi-tour pour rentrer à la maison. Et puis sont apparues les crises d’eczéma géantes, sur les bras, puis sur tout le torse. Ma fille me dit que sa maîtresse ne l’aime pas, qu’elle se sent nulle parce qu’elle fait des fautes en lisant, parce qu’elle ne comprend pas les leçons, parce qu’elle ne comprend pas à quoi ça sert d’apprendre ce qu’est un nom noyau dans un groupe nominal. Elle ne comprend pas pourquoi sa maîtresse crie, pourquoi elle dit « vous vous foutez du monde » vingt fois par heure. Elle a l’impression de n’être rien ni personne, car en février sa maîtresse ne savait toujours pas écrire son prénom sans faire de faute.

Autant vous dire que les anecdotes de la scolarité du petit Gustave m’ont émue aux larmes et franchement, si mon cœur s’est serré de nombreuses fois, mon corps ressentait de réelles douleurs physiques. « Il découvrait que l’école n’était pas seulement un lieu où l’on apprenait, mais où, parfois aussi, l’on souffrait. » Aurélie Valognes décrit à la perfection ce que peut être un système scolaire qui ne sait/veut pas s’adapter à l’enfant différent, encore plus lorsque les enseignants avaient précédemment dans leurs classes un membre brillant de la même fratrie. Comparaison inévitable, rabâchage en règle, « tous s’accordaient à dire qu’il n’était pas au niveau de sa sœur. » Les vexations quotidiennes subies par Gustave ne se limitent pas à la sphère scolaire : elles le poursuivent bien au-delà, jusque dans son amour propre et dans son être en devenir. « En dix minutes de cours, il pouvait démoraliser un enfant pour une vie entière, l’enfermer dans une case de plus. Pour toujours. », tant et si bien que Gustave finit par croire, au plus profond de lui-même qu’il ne vaut rien. « Même dans son imaginaire le plus intime, Gustave ne s’autorisait à rêver qu’en minuscule. » Sa détresse est tue, accentuée par cette volonté qu’ont tous les enfants de ne pas décevoir leurs parents. Il faut dire que Gustave vient d’un milieu modeste, que ses parents triment, et que sa grande sœur est brillante, car elle seule pense savoir que pour sortir de ce milieu dont elle a honte, il va falloir bosser, mettre les bouchées doubles pour ne pas donner raison au mantra du grand-père « L’école, thèse, antithèse, foutaise ».

Arrive alors Madame Bergamote, une enseignante pas comme les autres, une Marianne de l’espoir. Si les méthodes qu’elle met en place pour sortir Gustave du gouffre ne sont pas déchiffrables au premier abord, Gustave est à nouveau autorisé à rêver, il cesse de « passer son temps dans la salle d’attente de sa vie », il en devient l’acteur. Sa confiance en soi renaît, son envie d’entreprendre aussi. Aurélie Valognes exprime très bien comment son propre salut arrive par l’entraide, l’altruisme, la synergie collective, la main forte tendue aux autres. Gustave peut enfin imaginer « toucher le ciel ».

À ceux qui disent, les personnages sont caricaturaux, je dis que vous avez de la chance de ne pas les avoir connus. À ceux qui ont perçu une bonne dose d’humour dans ces lignes, je dis que je n’ai pas ri, que j’ai plutôt eu tendance à avoir envie de pleurer. Ce roman sonne extrêmement juste par rapport à MA propre expérience avec l’éducation nationale, en tant que mère d’abord, mais aussi en tant qu’élève. Oui, j’ai connu une maîtresse qui sautait sur les bureaux avec sa baguette quand on donnait une mauvaise réponse, et un prof de maths aux yeux bleus translucides qui nous blessait par son silence et son mépris… Mais j’ai eu aussi cette merveilleuse prof de français que je n’oublierai jamais qui m’a transmis un amour immodéré pour les livres, la lecture et l’amour de la langue. Écrire sur un bulletin « Veut, mais ne peut pas » est une arme de destruction massive, et il faut des années pour s’en relever. Si Aurélie Valognes m’a réchauffée le cœur dans la seconde partie de son livre que certains peuvent trouver cousue de fil blanc, ou même niaise, j’ai la certitude qu’il y a des profs qui aiment passionnément leur métier (oui, j’en connais), qui ne respirent que pour transmettre, qui pèsent leurs mots, qui cajolent, qui consolent, et qui aiment vraiment leurs élèves. Je dédie cette chronique à ceux-là, ceux qui encouragent la création du cahier des rêves et incitent à répéter cette vérité : « Quand je serai grand, je serai heureux », car « Ne plus avoir d’espoir, c’était ça le véritable échec. »

4 réflexions sur “NÉ SOUS UNE BONNE ÉTOILE, Aurélie Valognes – Mazarine, sortie le 4 mars 2020

  1. PHILIPPE D dit :

    Je viens de terminer ce livre qui m’a beaucoup touché en tant qu’ex-enseignant. J’espère n’avoir pas fait partie de ceux qui ont enfoncé la tête de certains élèves dans l’eau, mais, au contraire, avoir réussi à leur faire relever la tête à condition que la bonne volonté fasse partie du projet.
    Un roman qui, je pense, pourrait aider certains enfants en difficultés, certains parents un peu perdus par la scolarité de leurs enfants ou peut-être certains enseignants qui pourraient se remettre en question…
    Du feel good? Sans doute, mais pourquoi pas?

  2. Aude Bouquine dit :

    Se poser la question c’est déjà être du bon côté de la barrière 😉
    Les pétris de certitudes ne se remettent jamais en question… comme dans toutes les professions.

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