Aude Bouquine

Blog littéraire

Disparaître… Partir en douce, s’évanouir, s’évaporer, s’envoler, s’éclipser, se volatiliser.        Disparaître… S’éteindre, succomber, périr, trépasser, décéder, perdre la vie, trouver la mort, mourir. Paris, une jeune femme met fin à ses jours. Saint-Jean Cap Ferrat, un homme est retrouvé noyé, totalement défiguré, le bout des doigts brûlés. Chacun à leur façon, ils ont décidé de disparaître. Pourquoi ? Ces deux affaires sont-elles liées ? « Qu’est-ce qui peut bien pousser quelqu’un à souhaiter disparaître de la surface de la terre ? »

Comme dans chacun de ses romans précédents, Mathieu Menegaux aborde toujours une thématique sociétale. Ne vous y trompez pas, Disparaître est une conséquence désirée d’un mal de notre société : l’auto-destruction programmée de l’être humain corvéable à merci dans un univers professionnel 2.0. Quand le travail finit par définir qui nous sommes, « Disparaître, c’est réussir », Paul Eluard. L’épanouissement personnel est une donnée toute relative dans un monde professionnel fait de concurrence et d’exigences. L’embrigadement de masse en est son essence, martelé dès le plus jeune âge pour celui qui rêve de réussir. « (…) ces jeunes gens qui n’auront de cesse que de se fixer les objectifs les plus ambitieux et de n’être jamais satisfaits d’avoir franchi un échelon, alors qu’il y a un autre défi à relever, une autre promotion à aller chercher, un autre prix d’excellence à glaner. » Sous couvert de prendre soin de ses salariés, l’entreprise se targue de privilégier le Work Life balance. Obligée de se prémunir de toute « catastrophe naturelle » directement liée à ceux qui seraient dans l’incapacité de s’adapter, l’entreprise prêche une réalité dont elle s’est éloignée.

Ce roman est l’histoire d’une rencontre entre un « homme en titane », et une jeune fille en fleurs. L’histoire aussi de certitudes qui tombent. L’histoire d’opposés qui s’attirent quand l’un met en lumière les failles de l’autre. Une démonstration habile et réaliste de méthodes mensongères et destructrices qui démolissent de l’intérieur, une annihilation de l’être humain par le travail, une déshumanisation programmée de ce « hamster » qui avance dans sa roue, sans regarder ni à gauche, ni à droite, happé par le temps et les échéances, qui ne prend plus le temps de penser. Disparaître peut alors sonner comme une conséquence logique et nécessaire à une situation impossible à gérer, à un mal être profond et lancinant qui détruit tout sur son passage, de l’estime de soi, à l’illusion d’avoir pris le bon chemin. « Effacer sa vie. Réussir sa sortie. »

Quand la finalité de l’homme consistait il y a peu de temps encore, au besoin irrépressible de laisser une marque, une trace de son passage, un témoignage, le nouvel homme 2.0 souhaite lui simplement disparaître. Mû par cette sensation omniprésente de « se sentir en insécurité permanente », l’homme qui pense devient inapte à vivre dans cette société où chaque pas renvoie aux mots rentabilité et productivité.

Ce roman devrait être reconnu d’utilité publique. Si l’on se disait encore la vérité dans ce monde où chaque parole est un énorme mensonge… Où les intérêts personnels ne sont pas ceux de l’entreprise… Où les émotions n’ont plus aucune place…  Où « la quête d’excellence ne peut justifier une telle pression. » Pour cela, il faudrait prendre le temps de respirer, de pouvoir et de vouloir s’offrir un temps d’introspection, d’accepter une autre vie. « (…) en France, on a le droit de se suicider et tout adulte a le droit constitutionnel de disparaître. » et parfois c’est le seul choix…

Je crois aux rencontres. Je crois que parfois des êtres sortis de nulle part vous montrent le chemin. Je crois que certains romans tombent volontairement entre vos mains pour de bonnes raisons. Je crois que ce roman est de ceux-ci. Mathieu Menegaux vous montre le rouleau compresseur qu’est l’entreprise et les effets du mauvais paramétrage humain. Édifiant et tellement juste.

Je remercie Netgalley et les éditions Grasset de leur confiance.

#Disparaître #NetGalleyFrance

4 réflexions sur “DISPARAÎTRE, Mathieu Menegaux – Grasset, sortie le 8 janvier 2020.

  1. Yvan dit :

    Voilà des mots forts, et un enthousiasme qui ne peut être que communicatif !

  2. Matatoune dit :

    Comme souvent, une chronique écrite avec le cœur ! ♥️
    Merci

  3. Eve-Yeshé dit :

    belle chronique, j’ai beaucoup aimé ce roman 🙂

  4. Aude Bouquine dit :

    Moi aussi. Éclairant !

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Aude Bouquine

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

En savoir plus sur Aude Bouquine

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

Aller à la barre d’outils