C’est l’histoire de Simon Connolly.
Simon est l’heureux papa de 2 enfants : Jake et Laney.
A leur naissance, il décide, en accord avec sa femme Rachel de quitter son job pour rester à la maison et “devenir” Homme au foyer. Ce choix qui semblait évident et logique le cantonne dans un rôle où la culpabilité de mal faire est omniprésente.
Un jour, une fusillade éclate dans le lycée où vont ses enfants. Treize enfants sont tués dans cette fusillade et Jake manque à l’appel.
Son absence ne peut révéler que sa culpabilité … ou sa complicité.
Très vite, les médias s’emballent et cloue Jake au pilori.
“Jake” est la voix d’un père, celle de Simon qui cherche à comprendre ce qui s’est réellement passé.
Autant le dire tout de suite, ce roman est difficile à lâcher et ce pour plusieurs raisons.
Il aborde des thèmes vraiment intéressants qui nous amènent tous à réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons :
D’abord, le rôle du parent au foyer.
Simon est donc un père au foyer. Même s’il n’a pas été “obligé” de prendre cette décision, il vit plus ou moins bien cette situation, qui le réduit petit à petit à l’impression de n’être rien, jusqu’à en perdre son identité. Je m’adresse ici à toutes les femmes au foyer : vous connaissez la sensation ? N’est-ce pas vraiment intéressant d’entendre dans la bouche d’un homme des récriminations, doutes, colères que nous avons toutes eues?
” Je n’avais pas non plus réalisé à quel point je m’identifiais à mon travail, ou plutôt à quel point mon travail m’identifiait.” (moi non plus, avant de le quitter !!)
Celui qui est au foyer doit tout voir et tout savoir : savoir quand son enfant va bien, quand il va mal, quand il a fait une bêtise, quand il a un problème à école etc…
S’il ne voit pas, c’est qu’il est défaillant et la société toute entière le place dans la case des parents incompétents.
Ici aux Etats-Unis c’est extrêmement fréquent comme manière de penser : si un enfant déraille c’est à cause du parent qui n’a pas fait son job, ou d’un vice caché dont le parent est rongé et qu’il a transmis à son enfant.
(j’ouvre une parenthèse pour vous raconter ce que j’ai vécu lorsque ma fille était en kindergarten. Deux garçons de 5 ans se sont montrés leurs sexes dans les toilettes de l’école. Celui qui a commencé a été viré sur le champ avec tous ses frères et soeurs, celui qui a été la “victime” s’est vu attribué un chaperon toute l’année parce que lorsqu’on a été une victime, on reproduit. Le proviseur a été viré en direct live dans l’auditorium sous la vindicte populaire, pour contenter les parents ivres de rage, parce qu’il n’avait pas considéré que c’était d’une gravité extrême. La famille du gamin “coupable” s’est vu traitée de tous les noms et accusée de toutes les perversions sexuelles possibles, exercées bien sûr devant leurs enfants. Ils ont été obligés de quitter la ville)
C’est sur cette culpabilité là qu’est basée une très grande partie du roman: j’avais sous les yeux un enfant différent, qui n’allait pas bien et je n’ai rien vu…
La culpabilité est mise en exergue par l’alternance des chapitres passé et présent : le passé est placé sous le microscope de la mémoire pour essayer d’analyser tous les petits moments de vie qui auraient pu fournir un indice sur la façon dont le futur allait se dérouler, et le présent où l’indicible vérité semble surgir, associée au pouvoir des médias et au non respect de la présomption d’innocence.
C’est vrai que le roman amène à se pencher sur ce sujet. Nous l’avons bien constaté ces quelques mois, quand votre nom est cité aux infos, peu importe que vous soyez coupable ou innocent des faits qui vous sont reprochés, socialement vous êtes mort.
La société n’associera plus votre nom qu’à votre culpabilité. Il n’y a pas de fumée sans feu dira-t-on….
C’est ce qui se passe dans le roman. Jake est coupable avant même d’avoir été retrouvé, sur des témoignages plus que bancals, des souvenirs flous, des suppositions.
Ce que j’ai beaucoup aimé aussi c’est la façon dont Bryan Reardon traite la réaction en chaine des évènements et ce que cela provoque : l’inhumanité des réactions et la nécessité de culpabiliser le parent qui a engendré un enfant défaillant.
Parce que son père lui a appris à s’intéresser aux autres, Jake prend sous son aile un garçon secret, réservé, différent des autres qui s’appelle Doug. Il ne l’aime pas forcément beaucoup mais il ne veut pas faire de peine à son papa. Alors, au début, il joue avec lui, plus par obligation que par envie. Doug rentre petit à petit dans la vie de la famille Connolly, au grand désespoir de Simon qui se rend très vite compte que quelque chose cloche chez ce garçon. Mais décemment, il ne peut pas interdire à son fils quelque chose qu’il a au début encouragé.
A-ton aujourd’hui le droit d’être différent sans passer pour un futur tueur en série ?
Faut-il rentrer dans le moule à tout prix ?
Faut-il encourager son enfant à cultiver sa différence ou à l’annihiler?
Ce roman noir incite au questionnement de chacun.
Bryan Reardon maitrise également parfaitement bien ce doute qui parvient à faire son chemin dans la tête du père, poussé par la pression des médias, les infos qui répètent inlassablement les mêmes choses toutes la journée: ton fils est coupable !
Enfin, je terminerai par ce que j’ai trouvé d’une grande finesse dans ce livre : toutes les reflexions et le travail intérieur de Simon pour parvenir au pardon. C’est formidablement bien écrit, d’une très grande justesse et d’une bonne dose de bon sens.
“Ne fais pas aux autres, ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.”
Et c’est tellement difficile… Et on devrait tous en prendre de la graine.
Je vous renvoie à l’interview qu’Yvan a réalisé sur son blog ÉmOtionS :
https://gruznamur.wordpress.com/2018/03/06/interview-1-livre-en-5-questions-jake-bryan-reardon/
Une interview qui m’a vraiment donnée envie de lire le livre et honnêtement je l’ai dévoré !
2 réflexions sur “JAKE, Bryan Reardon – Gallimard série noire”