Aude Bouquine

Blog littéraire

Les cent ans de Lenni et Margot de Marianne Cronin

« Les cent ans de Lenni et Margot » de Marianne Cronin est un premier roman. Je vous le dis d’emblée, car cela donne le ton pour la suite. Vous connaissez ma curiosité pour les premiers textes à naître… Ici Marianne Cronin offre une belle histoire, des personnages charismatiques et lumineux, des thématiques passionnantes, le tout grâce à une écriture sensible, mais qui ne tombe pas dans le pathos, tendre, qui ne verse pas dans les larmes. Le sujet n’est pourtant pas simple… Lenni et Margot se rencontrent dans la Salle Rose, une salle destinée aux arts plastiques. Cette pièce un peu singulière se trouve dans un terminal qui n’a rien à voir avec celui d’un aéroport : le terminal de « ceux à l’espérance de vie limitée ». Lenni a 17 ans, Margot 83, et elles vont bientôt mourir. À l’origine, Lenni vit dans l’aile May, un « Mayday » qui ne dit pas son nom…


Lenni a passé de nombreux mois dans cet hôpital, voire des années, elle a un peu perdu la notion du temps… Elle est passée par des hauts et par des bas, souvent des bas, quand elle se souvient à peine des successions de jours durant lesquels les médicaments aidaient son corps à se reposer, comme si, pour elle, le temps comptait double. Durant son temps éveillée, en meilleure forme, l’esprit de Lenni cogite… car Lenni a encore de nombreuses interrogations sur la vie, sur la mort, et tout cela avec un sacré sens de l’humour. C’est dans la chapelle de l’hôpital qu’elle rencontre Le Père Arthur qu’elle vient titiller régulièrement par ses interrogations et ses provocations adolescentes, là qu’elle exerce son humour tendre et grinçant, là qu’elle pose ses questions les plus dérangeantes, « Pourquoi suis-je en train de mourir ? » Car dans « Les cent ans de Lenni et Margot », il est autant question de vie que de mort… L’une ne va pas sans l’autre. « On ne peut pas savoir pourquoi on meurt de même qu’on ne peut pas savoir pourquoi on est en vie. Vivre et mourir sont deux mystères absolus, et vous ne pouvez connaître ni l’un ni l’autre tant que vous n’avez pas fait les deux. »


Dans la salle Rose, Lenni et Margot se découvrent. Ensemble, elles font naître un grand projet, lorsqu’elles se rendent compte qu’à elles deux, elles ont cent ans. Lenni va vivre par procuration les grandes étapes de la vie de Margot que celle-ci lui raconte au fur et à mesure de leurs rencontres. En somme, il est donné à Lenni la possibilité de vivre par procuration ce qu’elle ne vivra jamais par manque de temps. « Les cent ans de Lenni et Margot » va être entrecoupé de la vie à l’hôpital, des rencontres de Lenni avec le prêtre, et de ces moments hors du temps qui se succèdent dans la salle Rose. Avec Margot, Lenni soulage son cœur et son besoin de vie. Avec le Père Arthur, Lenni apaise les peurs de son esprit tout en poussant tendrement l’homme d’Église dans ses retranchements.  « — Allons, Arthur, vous devriez vous familiariser un peu plus avec vos sources. Le père prodigue est au paradis, maintenant, avec son poisson, il serre son fugitif de fils dans ses bras en se demandant pourquoi vous ne connaissez pas toutes les histoires de la religion que vous vendez. 

— Je ne vends rien du tout

Eh bien, vous devriez. Tout donner gratuitement, c’est une très mauvaise stratégie commerciale.

« Les cent ans de Lenni et Margot » est un roman qui met en lumière l’amitié, pas celle qui nous est imposée, celle que l’on choisit. Délibérément. Elle est intergénérationnelle avec Margot et Père Arthur, spontanée et authentique. Avec Margot, Lenni explore le passé et les moments de vie qui construisent notre personnalité. Avec le Père Arthur, Lenni ausculte sa foi et pose toutes les questions que l’on peut adresser à un véritable ami. Les réponses ne sont jamais du domaine du prosélytisme, car chacun s’enrichit des réponses de l’autre pour parfaire son raisonnement. Lenni se nourrit intellectuellement et émotionnellement autant que le Père Arthur : « Nos vies sont riches de bénédictions. Parfois, nous nous arrêtons pour les compter, et parfois non. J’ai travaillé dans cet hôpital pendant de nombreuses années et je me suis souvent demandé si cela faisait une différence quelconque pour l’hôpital. En fin de compte, la seule chose dont je suis sûr, c’est que l’hôpital a fait une différence pour moi. Je considère qu’avoir passé mes journées ici, avoir travaillé ici et prié ici a été une bénédiction. Et les personnes dont j’ai fait la connaissance, leur bravoure, leur courage et leur lumière m’ont changé à jamais. »


Il y a deux thématiques que j’ai également beaucoup aimées dans le roman. La première concerne le passage du temps. À travers Lenni et son état de santé, on assiste bien souvent à une distorsion du temps. Elle ne se rend plus compte du temps qui passe ou du temps qui a passé. Finalement, cette notion du temps qui déroule son fil est très aléatoire, même pour ceux en bonne santé, et surtout pour ceux qui n’ont pas le temps d’appuyer sur le bouton pause pour reprendre leur respiration. Vous vous apercevrez également que « Les cent ans de Lenni et Margot » est un roman en couleur. Marianne Cronin ne parle jamais de la couleur noire qui peut renvoyer à la mort, cela vous donne une indication sur l’état d’esprit de l’histoire. Beaucoup d’autres couleurs sont utilisées, des couleurs de vie, des couleurs fortes et riches en symbolique. Ce n’est pas anodin que Margot porte du violet (évoquant la sagesse, l’inspiration et la paix intérieure) et Lenni du rose (l’ingénuité, la candeur et la pureté). La seconde concerne plus particulièrement Lenni et son extrême maturité pour ses 17 ans. Peut-être plus que le fait d’être malade, c’est cet aspect d’âge adulte sans l’être qui m’a le plus touchée. On se pose beaucoup de questions à son sujet, sur sa maladie, sur sa vie, sur certaines absences… Quelques clés sont données par l’écrivaine, des clés suffisantes pour comprendre sans tout savoir… 


À l’instar d’autres romans basés sur la même thématique, tels que « Les derniers jours de Rabbit Hayes » de Anna McPartlin, ou « Il est juste que les forts soient frappés » de Thibault Bérard, Marianne Cronin a trouvé le ton juste pour raconter cette histoire. Elle ne verse pas dans le larmoyant ou la surenchère des grandes lamentations. Ce roman parle avant tout de vie, de destins, et d’amitié. Les sourires suscités par certaines réflexions ou évènements cocasses dédramatisent des situations parfois plus difficiles. Le récit est porté par trois personnages emblématiques que le lecteur aime immédiatement plus que par une forme de tragédie liée à leurs situations. J’ai été réellement émue par ce roman, parce qu’il est doux, tendre, lumineux et qu’il se frotte aux réalités de l’existence dans sa globalité. 

Chronique de IL EST JUSTE QUE LES FORTS SOIENT FRAPPÉS, Thibault Bérard – Editions l’Observatoire, sortie le 8 janvier 2020,

LIEN VERS LES ÉDITIONS MAZARINE/FAYARD

4 réflexions sur “LES CENT ANS DE LENNI ET MARGOT, Marianne Cronin – Mazarine, paru le 26 avril 2023.

  1. Très joli ce que tu en dis. Tout comme toi j’ai aimé ce livre ou les couleurs pétillent ou cette gamine forte de cette maturité touche et bouscule, attendrie par Margot et une tendresse pour le père Arthur

  2. laplumedelulu dit :

    Jolie chronique qui donne encore très envie. Merci à toi 🙏😘

  3. Aude Bouquine dit :

    Les personnages sont sublimes ♥️

  4. Merci pour ce partage très intéressant 🙏

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