Aude Bouquine

Blog littéraire

À la suite de quelques déboires conjugaux, et sur un coup de tête, Romain rachète la maison dans laquelle il a passé toutes ses vacances avec ses deux frères et ses parents. Il invite Philippe et Stan sans rien leur dire de sa « folie » à venir passer une semaine avec lui dans cette maison de Blonville-sur-mer. Leur mère, décédée trente ans auparavant, a laissé le parfum de leurs souvenirs d’enfance dans ce lieu de villégiature. Depuis son décès, peu à peu, les frères se sont éloignés. L’aîné Philippe est violoniste, Stan le benjamin travaille dans l’humanitaire, Romain le cadet est chef d’entreprise obsédé par son travail et sa réussite. Ces quelques jours sont l’occasion de reformer le trio, resserrer les liens et se souvenir ensemble des bons moments. Quel est le poids de nos souvenirs ? Comment remontent-ils à la surface ? Se souvient-on vraiment des anecdotes de notre enfance ou restent-ils en mémoire à force d’être racontés ? Romain, Philippe et Stan n’ont pas le même âge, donc pas les mêmes souvenirs, ni les mêmes sensations, ni les mêmes blessures. Romain et Philippe ont respectivement 10 et 12 ans de plus que Stan. Si eux se souviennent de nombreuses choses, Stan, lui, ressemble à un oisillon tombé du nid : sa mémoire lui joue des tours. Une semaine pour réveiller les sensations, une maison pour abriter trois âmes, comme un cocon. Libérer la parole, s’écouter et tenter de se comprendre, et pourquoi pas se « réconcilier ».

« Une semaine avec mes frères » explore la thématique de la famille, l’un de mes sujets de prédilection en littérature. Ce qui est intéressant ici, c’est le focus que fait Agathe Colombier Hochberg sur Stan par rapport à ses deux aînés. Enfant, ses frères étaient ses modèles, il était obnubilé par leurs jeux et leurs façons d’être, avide de les imiter. Chaque séparation, Philippe et Romain étant en pension durant la semaine, devenait une véritable torture qui a marqué Stan au fer rouge. « L’attente de ses retrouvailles, toujours assombries par la conscience de la séparation qui suivrait, avait fait grandir Stan dans une frustration permanente. » Ainsi s’est forgé Stan, dans une attente constante, privé des deux êtres qui comptaient le plus pour lui. Cette frustration a sans doute fait de lui un homme différent, redoutant les attaches, fuyant les contraintes d’une vie trop conformiste. « Être en mouvement perpétuel avait fait taire l’interminable attente, et il avait trouvé la paix en se déracinant. Stan avait choisi un métier qui l’appelait à voyager sans cesse et il s’interdisait de trop s’attacher à ceux qui étaient voués à traverser rapidement sa vie. Il passait d’une mission à l’autre, donnait en se gardant de prendre, et s’arrangeait toujours pour partir quand il commençait à se sentir chez lui quelque part. » Il est celui qui a le plus souffert du manque de souvenirs, du manque de ses frères, du manque des anecdotes familiales comme le choix de son prénom qu’il découvre dans cette maison d’été, bien des années plus tard. Et même là, revenu aux sources, il avance sur la pointe des pieds, avec prudence et méfiance. S’attacher ? Non, très peu pour lui. « Stan n’aimait que les petites pièces, les lieux étroits ; dans un espace réduit, il parvenait à se donner l’illusion qu’il contrôlait le vide qui l’accompagnait. Plus le monde autour de lui était vaste, plus les absents prenaient de place. » Stan est en mode autoprotection. Entre Romain volubile, travailleur acharné, et Philippe retranché sur son violoncelle à la moindre contrariété, il est difficile de prendre sa place. 

« Une semaine avec mes frères » est aussi l’histoire d’une maison qui, comme un phare, évite aux hommes de s’écraser sur les rochers. À la fois écrin de protection contre les fantaisies imprévues de l’existence, source de révélations du passé et passerelle pour laisser l’enfance derrière soi et passer à l’âge adulte sereinement, la maison de Blonville-sur-mer est un personnage aux pouvoirs étranges et salvateurs. Les êtres qui y vivent rejouent le passé, font le point sur leurs vies respectives, et sont encouragés à s’accepter malgré leurs défauts d’hommes. Le lecteur est le témoin privilégié de ce cheminement, d’une recherche du bonheur plus philosophiquement pérenne et des non-dits qui trouvent un chemin vers la parole. Agathe Colombier Hochberg raconte avec beaucoup de tendresse, de nostalgie et de lucidité qu’il est possible d’avoir des souvenirs inégaux et de s’accepter quand même, de vivre ensemble malgré les différences, en s’apprivoisant pas à pas. Une semaine pour repartir sur de bonnes bases, se réconcilier, s’écouter, et partager pour repartir ensemble sereinement.

3 réflexions sur “UNE SEMAINE AVEC MES FRÈRES, Agathe Colombier Hochberg – Plon, sortie le 27 octobre 2022.

  1. laplumedelulu dit :

    Pitié Aude. S’il te plaît. Arrête avec tes jolies chroniques qui font palpiter mon p’tit cœur. Mets nous des trucs moches que tu n’as pas aimé. Que ma whislist respire un peu et moi aussi.
    Merci à toi pour cette chronique. Ça a des airs de « les frangines » la maison où l’on revient toujours pour se relier à ses racines. 🙏😘 Ils disaient quoi tes profs de français quand tu étais au lycée ? J’aimerais bien savoir.

  2. Aude Bouquine dit :

    Attends, le truc moche que je n’ai pas aimé arrive 🤣. J’ai eu une prof de français FABULEUSE en 6e, la même en 5e qui a éclairé ma vie avec la littérature. Je ne brillais pas dans mes rédactions, j’étais « moyenne ». Je crois que la transmission des émotions vient avec l’âge et aussi un peu avec la qualité des textes que l’on lit 😉

  3. laplumedelulu dit :

    Moyenne ? Je n’arrive pas à le croire. Lance toi, écris ton livre. Les petites graines semées par tes deux professeurs ont bien éclot en tous cas.
    Ok j’attends le truc pourri pour ne pas le noter. 🤣🤣 Des bises à toi. 🥰

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