Aude Bouquine

Blog littéraire

L’homme de ce roman est tout ce qu’il y a de plus délicieux… Fermier de son état, bourreau à ses heures perdues, il a comme unique but dans la vie d’annihiler toute individualité. Sa victime, Thanh Dao ayant quitté ses terres vietnamiennes pour suivre la chimère d’un eldorado vers l’Angleterre l’a bien compris : il ne reculera devant rien. La briser psychologiquement est le mantra de tout salopard qui se respecte. En matière de tortures psychologiques, nous avons affaire un professionnel : sans aucune émotion, les sanctions tombent. Et si, quelques velléités de fuite traversent votre cerveau, oubliez. Il vous en fera passer l’envie. Durant ses sept années de captivité, Thanh Dao a essayé plusieurs fois de s’échapper. Il faut dire que la ferme se trouve au milieu d’une plaine qui rend toute cachette impossible. Lenn, son tortionnaire, lui mutilera si profondément le pied en guise de punition que la douleur omniprésente occupera toutes ses pensées. Il réussit ainsi à associer dans l’esprit de sa captive, douleur de la sanction avec tentative de fuite, sans qu’elle ne puisse plus jamais distinguer l’un de l’autre.

Nous sommes dans un huis clos, tout le roman est construit autour de ces deux personnages : Thanh Dao et Lenn. Le portrait du personnage féminin est remarquable d’acuité. Puisqu’elle est muselée, Will Dean a fait le choix de faire entrer le lecteur dans sa tête. Si Lenn ne connaît pas ses pensées, nous sommes nous, les témoins privilégiées de ses réflexions, de ses ruminations, de ses espoirs et de ses douleurs autant physiques que morales. En effet, cette jeune femme souffre dans sa chair. Sévèrement abîmée par la punition dont elle a fait l’objet, Lenn la rend accro à des antidouleurs… pas ceux que vous croyez, des médicaments pour animaux qui plongent Thanh Dao dans une forme de coma éveillé qui brouille considérablement ses pensées, mais l’aide à fonctionner au quotidien. Constamment surveillée par des caméras placées dans la maison, Thanh Dao doit exécuter ses tâches quotidiennes sous peine de sévères représailles. Chaque soir, alors qu’elle prépare le dîner, Lenn visionne les vidéos de sa journée pour vérifier qu’elle n’a pas outrepassé ses prérogatives. Lorsqu’elle y déroge, il entreprend de la démolir moralement, la forçant à choisir parmi ses maigres souvenirs, passeport, lettres, objets divers, lequel elle va sacrifier dans le poêle à bois. Progressivement, les possessions qui font sa personne, son histoire, disparaissent pour laisser place à un robot téléguidé. Seules ses pensées, sa rébellion silencieuse, sont les uniques trésors qu’il lui reste. A contrario, le lecteur ne vivra jamais dans les pensées de Lenn, il sera simplement le témoin de ses agissements. Singulier personnage, dénué de toute émotion, il semble vivre dans un monde parallèle où la réalité de la situation est délibérément réduite à néant. Les scènes devant la télé le soir en sont le parfait reflet. 

Nous sommes dans un huis clos et pourtant deux personnages fantomatiques hantent cette ferme. D’abord, la mère décédée de Lenn qui prend une place considérable dans le récit. Thanh Dao porte ses vêtements, dort dans son lit, doit préparer la cuisine comme le faisait la disparue. L’exemple à suivre est celui de cette mère portée aux nues par son fils dénué de toute objectivité et de toute capacité à réfléchir par lui-même, certainement élevé par cette femme aux contours abrupts et aux idées préconçues sur le rôle qu’une femme doit tenir dans son foyer. Cette mère s’appelait Jane, le prénom que Lenn a choisi pour sa captive. Malsain à souhait. 

Ensuite, la sœur de Thanh Dao, Kim. Partie du Vietnam elle aussi, elle est rapidement séparée de cette sœur pour aller travailler ailleurs. Le contact est gardé par l’intermédiaire de lettres auxquelles Thanh Dao s’accroche pour supporter son quotidien. Très rapidement, Kim devient un levier pour Lenn, un instrument de chantage écœurant. Pour sauver sa sœur, qu’elle vive une meilleure vie que la sienne, Thanh Dao est prête à tout accepter. Kim est absente physiquement, mais omniprésente spirituellement.

« Tout ce qui est à toi brûlera » porte bien son titre. Ce qui nous relie au monde, des photos auxquelles l’on tient, des objets qui nous rappellent des souvenirs finiront au fond d’un poêle en cas de désobéissance. C’est un roman sur la manipulation psychologique, sur la constante menace de violence, sur l’abus moral et physique qui déclenche une bouleversante empathie. Une existence réglée comme du papier à musique, où rien ne doit déborder, rien ne doit dépasser du plan initial. Pourtant, deux événements majeurs que je tais volontairement rebattent les cartes et obligeront Lenn à s’adapter, chose qu’il ne sait pas forcément faire. L’atmosphère anxiogène déjà présente au début du récit ne fait que s’accentuer, les derniers chapitres menés tambour battant déclenchent une angoisse terrifiante et laissent le lecteur émotionnellement vidé. Personnellement, je me serais abstenue de l’épilogue, mais Will Dean voulait certainement satisfaire la curiosité du lecteur qui se demande toujours « et après », un choix que je respecte. 

3 réflexions sur “TOUT CE QUI EST À TOI BRÛLERA, Will Dean – Belfond, sortie le 24 mars 2022.

  1. Merci Aude, à te lire on ne peut douter de l’émotion que ce livre provoque et l’empathie pour Thanh. Je me note

    1. Aude Bouquine dit :

      Il fait partie de ces bouquins où tu as envie de sauter à l’intérieur, tu vois ?

  2. Même si tu en parles très bien, je ne suis pas inspirée par ce livre, qui me semble très difficile quand même. Après, j’aime bien les ouvrages publiés chez Belfond Noir, alors je le garde dans un coin de mon esprit.

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