Aude Bouquine

Blog littéraire

Je viens de terminer “My absolute darling” et je vous livre ma chronique à chaud car j’ai bien peur de ne pouvoir m’y replonger lorsque quelques jours auront passé.

La lecture du premier chapitre a failli me faire crever d’une crise cardiaque…
Le second aussi…
Le troisième c’est bien simple, je ne pouvais plus respirer…
Autant dire que les magnifiques  descriptions de la nature et les cui-cui des oiseaux dans les branches n’ont à AUCUN MOMENT permis d’oublier l’atrocité décrite et suggérée de ce que vit Julia, alias Turtle. Oui, Gabriel Tallent ne décrit pas, comme Karine Giebel avec force  détails les monstruosités physiques et psychologiques que subissent cette petite fille, mais sur le degré de violence explicite et implicite, on y est largement !

C’est très clair, ce livre vous coupe le souffle. Il y a des moments où l’on n’ose même plus lire, de peur de découvrir un nouveau truc qui vous bouffe l’estomac et vous met dans la tête des images atroces. Moi même, je doutais avoir le cran de le finir.

Allez, on prend une grande respiration et je vous dis de quoi ça parle.

Julia alias Turtle a 14 ans. Elle vit avec son père dans une maison archi crasseuse dans laquelle les animaux font la vaisselle à coup de langue pour nettoyer les poêles (on est quand même très très loin de Blanche Neige, je vous assure !!!)  Ah oui, il y a des rats qui habitent là aussi… et des araignées… et toute sorte de bestioles qui ont élu domicile dans cette maison qui n’a de maison que le nom. Mais je m’égare…

Donc Turtle est élevée par son père Martin Alveston.
Elevée, c’est peu dire, dressée serait un mot plus adéquate.
Elle est donc dressée par un père qu’on peut largement qualifier d’abusif qui, lorsqu’il lui parle la qualifie de “merde”, ou de “connasse”, ou de charmants petits mots doux qui s’insinuent dans le crâne de cette jeune fille qui finit par être persuadée qu’elle mérite à peine le droit de vivre tant elle est mauvaise.
Son éducation est militaire, par militaire j’entends la régularité de la vie quotidienne, les mêmes gestes faits chaque jour, les même repas, les même phrases sur le monde déglingué et sur l’apocalypse programmée, mais aussi le maniement des armes. Turtle, c’est un peu une Nikita en puissance, la hargne en moins. Elle connait tous les modèles d’armes à feu, sait les monter et les démonter, les nettoie tous les jours, s’entraine au tir sous les yeux de son charmant papa qui n’en rate pas une pour lui dire qu’elle est vraiment “une moule illettrée”.
Parce que oui Turtle est totalement brainwashed ( j’aime ce mot en anglais car il est très expressif dans sa signification) : elle a le cerveau littéralement lavé par les paroles de son père
“J’ai besoin que tu sois dur avec moi parce que je ne vaux rien pour moi-même”
“Je suis nulle à l’école parce que je ne vaux rien(…) et je raterai toute ma vie.”
” C’est bien le problème avec toi, sale petite conne : tu crois savoir ce qu’il y a dehors. Mais tu n’en sais rien. Tu es habitée d’une telle pauvreté intérieure, une pauvreté d’esprit, d’imagination, de coeur.”

Ce que j’ai aimé (si tant est qu’on puisse “aimer” quelque chose dans ce livre) ou plutôt trouvé très bien amené sont :
– Les deux personnages principaux sont vraiment riches psychologiquement parlant.
Martin est un homme bourru et vraiment bourrin. Il a eu une enfance difficile, il est loin d’être stupide, lit de grands auteurs, a des théories et un avis sur tout, raisonne le plus souvent avec sa tête, malheureusement pas toujours. Est-ce qu’il aime sa fille ? A vous de me le dire… Je suis incapable de répondre à cette question….
Turtle semble vide et sans âme, sans opinion, totalement sous la coupe de son père. Elle a pourtant une vie intérieure très riche, elle se parle à elle-même mais ses paroles ne sont pas souvent les siennes. Elle passe son temps à s’auto-flageller sur sa médiocrité. Je peux difficilement continuer à décrire l’évolution de sa personnalité sans spoiler donc je m’arrête là. Est-ce qu’elle aime son père ? Je crois que oui, mais vous me direz…
Le contraste entre Martin et Turtle est donc stupéfiant.

– Les innombrables descriptions de la nature font ressortir la morosité,  la violence et le côté vraiment malsain de la relation qui existe entre des deux personnages principaux . Je dois avouer que j’en ai eu marre, et à de nombreuses reprises, tant les descriptions de plantes sont omniprésentes (sans parler du fait que j’en connaissais aucune ou presque).
Je me demandais à quoi pouvait bien servir tous ces exposés horticoles…
A ça : une mise en abîme cruelle de l’atrocité de l’existence de Turtle.

C’est un livre très dérangeant, une lecture difficile et douloureuse par de nombreux aspects, un concentré de l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus abominable, de plus perverse et de plus écoeurante. Le style de Gabriel Tallent est exceptionnel, le choix des mots toujours pertinent et il fait preuve d’une réelle poésie dans certains passages. Il faut avoir le coeur bien accroché et ne pas mettre ce livre entre toutes les mains. Je terminerai par cette très belle phrase qui qualifie bien le père :
“Ton père est un immense, un titanesque, un colossal enfoiré, un des pires qui aient jamais vogué sur les mers de verveine citron, un enfoiré de première dont les profondeurs et l’ampleur de l’enfoiritude dépassent l’entendement et défient l’imagination.”

Bonne lecture à ceux qui en auront le courage !

3 réflexions sur “MY ABSOLUTE DARLING, Gabriel Tallent, Gallemeister

  1. Les petits plaisirs d'Anaïs dit :

    Je me souviens avoir été totalement happée par cette lecture, qui a été fascinante, douloureuse et dérangeante à la fois
    Il me semble bien que ça été ma toute première expérience dans le genre !

    Très belle œuvre mais à ne pas lire à la légère, en effet !

    Anaïs

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