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DE CENDRES ET DE LARMES, Sophie Loubière – Fleuve Noir, sortie le 3 juin 2021.

Il n’est jamais aisé d’écrire une chronique qui soit suffisamment « honorable » pour rendre justice à un roman que l’on a follement aimé. « De cendres et de larmes » est un roman que j’ai follement aimé, de la première à la dernière phrase. Sophie Loubière a un don pour poser ses atmosphères qui deviennent de plus en plus oppressantes au fur et à mesure des pages qui se tournent. Le roman s’ouvre sur une scène d’apocalypse que personne n’oubliera : Notre-Dame en feu. Madeline est caporale-cheffe sapeur-pompier. Elle est mariée à Christian qui accepte un poste de conservateur au cimetière de Bercy. Cette famille constituée de deux adultes et de trois enfants vit dans un tout petit appartement. L’idée d’une maison plus grande est séduisante. Une maison située au cœur d’un cimetière un peu plus rebutante. Et pourtant, la famille franchit le pas, attirée comme des papillons par l’espace, le silence, le calme et plus de sérénité.

Dans la famille Mara, le socle c’est le couple. Christian et Madeline s’aiment. Si « Le parcours professionnel de Christian Mara était l’antithèse du plan de carrière. », celui de Madeline est primordial à ses yeux. Son métier est son équilibre. C’est l’un de leurs enfants qui en parle le mieux : «(…) Anna avait résumé le métier de ses parents : Maman veillait sur les vivants, et papa veillait sur les morts. (…) Maman veillait sur des êtres destinés à mourir à plus ou moins court terme.» Cette famille semble avoir trouvé son équilibre entre une mère combattante du feu et un papa-lion qui veille tendrement sur ses petits.

Quelle est l’influence du lieu dans lequel on vit sur le mental, sur l’existence, sur nos actions ? Vivre dans un cimetière n’est pas une chose banale, même pour celui qui aime la tranquillité. Si l’écriture de Sophie Loubière n’est pas dénuée d’humour, «Anna rêve d’habiter le château de la Reine des neiges, pas la maison de la famille Adams.», on conçoit aisément à quel point l’imagination peut se nourrir des choses du quotidien qui se passent vraiment, et celles qui relèvent de la fantasmagorie. La maison, « cette vieille dame capricieuse », est un personnage à part entière qui déteint sur ses occupants. S’ils y vivent, elle les habite. Si Madeline était «L’évidente clarté dont il avait besoin pour affronter ses nuits», Christian s’imprègne peu à peu des lieux, de ses habitants silencieux, de ce « dortoir » pour des âmes en repos. La maison offre à Christian une forme de renaissance tout en l’obligeant à « Dompter les ténèbres ».

Car « De cendres et de larmes » est bâti sur de nombreuses oppositions : l’ombre et la lumière, le calme du cimetière et la fureur de la ville, les forces des personnages et la découverte progressive de leurs failles, la réalité du quotidien et un univers plus fantastique (cauchemars et hallucinations), la vie et la mort. Les cendres qui symbolisent ce qui reste après le feu, et les larmes ce qui reste après le deuil permettent d’entrer lentement dans un monde plus angoissant en empruntant un chemin de traverse. La tension monte crescendo, et l’auteur sème ici et là de petits cailloux de lumière nécessaires pour retrouver son chemin. L’osmose étouffante des personnages avec la maison offre de belles sueurs froides…

Et pourtant, nous sommes bien les deux pieds dans la réalité, car le roman est profondément ancré dans notre société, même s’il se déroule dans un lieu atypique. «Quelque chose était en train de basculer ici et partout ailleurs. L’incendie de Notre-Dame avait sonné le glas d’une ère nouvelle, plus sombre.» Le monde gronde, les écarts se creusent, les protestations se font plus fortes. Sophie Loubière décrit avec brio cet environnement en pleine mutation où l’on déteste aussi vite que l’on adule. En rendant hommage aux pompiers de Paris qu’elle prend en exemple pour étayer son propos, elle transmet ce grondement sourd de la révolte, et ses contradictions.«Bombardés à coups de canon à eau. Hier décorés pour leur courage, après avoir mis leurs vies en péril et sauvé Notre-Dame, on les pulvérisait de la manière la plus déshonorante et la plus avilissante qui fût pour un soldat du feu.»

Ici, le huis clos contraste avec la société en pleine mutation, l’humour avec la gravité, l’obscurité avec la clarté, le temps qui passe avec le temps figé. Sous la plume précise qui glisse, on parvient presque à entendre la voix de Sophie qui raconte ses personnages. Cette expérience sensorielle, le choix des mots à intonation et la musicalité des phrases subliment l’inquiétude qui croît, nos phobies enfantines qui éclatent, nos émotions qui explosent. Mais, au rythme des taches de moisissures troublantes, Sophie Loubière parvient toujours à nous ramener vers la lumière jusqu’à cette fin, divine.

Je remercie les éditions Fleuve de leur confiance.

CINQ CARTES BRÛLÉES, Sophie Loubière – Fleuve Noir, sortie le 16 Janvier 2020.

 

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