J’ai découvert Florian Gazan dans « La grande famille » sur Canal + aux côtés de Jean-Luc Delarue. Je n’avais même pas vingt ans. Depuis quelques années, je l’écoute chez Laurent Ruquier aux « Grosses Têtes ». J’ai dépassé la quarantaine. C’est un peu comme si, on avait poussé en même temps, mais dans d’autres champs. Florian Gazan ne s’est jamais caché de ses « mariages », de ses ruptures, de ses enfants et de ses pensions alimentaires à verser. En presque 30 ans, il s’en passe des choses dans une vie… du bonheur sans nuages aux pires tempêtes. « Ibysse » est le roman d’une de ces tempêtes. Vous me direz que ce ne sont pas les romans traitant de ruptures amoureuses qui manquent. C’est vrai. Écrits par des hommes ? C’est un peu moins habituel. Des hommes qui ne trichent pas, ne jouent pas les gros durs, ne sont pas écrasés par leur fierté de mâle dominant ? Encore moins. « Ibysse » n’est pas tout à fait synonyme d’un lundi au soleil… « Mon impatience légendaire m’a une nouvelle fois joué des tours. Avec la complicité de mon orgueil et de mon narcissisme. Cet “égosystème” dans lequel Élodie a fini par se faner. J’avais pourtant réussi à y planter les graines d’une belle histoire, je l’avais plantée en beauté. »
Flo est mis à la porte du domicile familial par une compagne fatiguée d’être toujours la dernière roue du carrosse, d’arriver après le boulot, les matchs de foot, les sorties entre potes. Sous le choc, Flo se réfugie dans un hôtel Ibis proche de chez lui, le temps que sa femme se calme. « Ibysse » est le récit de ce moment d’introspection intime où Flo cherche au fond de lui-même les origines de ce déraillement et analyse la genèse de son histoire de couple. Comprendre pour ne pas reproduire, déchiffrer pour réparer, éclaircir pour revenir, écrire pour exorciser. Avant d’être un roman, « Ibysse » était un journal intime où, grâce à l’écriture, il devenait salutaire et vital de poser des mots sur des maux. Il aura fallu utiliser un mot-valise, contraction d’Ibis et d’Abysses pour présenter « Ibysse », ce « bioman », savant mélange d’un récit autobiographique et de petits éléments ajoutés pour l’exercice du roman.
Je vais sans doute paraître un peu sadique, mais c’est beau un homme qui souffre et qui l’exprime sans phares. Après avoir lu des pages et des pages narrant les émotions de femmes quittées, comme l’exceptionnel « Délicieuse » de Marie Neuser qui en termes d’embrasement des émotions atteint le summum de la souffrance flirtant entre agonie et vengeance, nous sommes ici dans un tout autre genre littéraire basé sur l’autocritique et souvent, l’autoflagellation… parfois dans l’humour noir, dans le sarcasme, et la satire personnelle. Parce que oui, on rit aussi dans ce roman ponctué de jeux de mots intelligents, de références fines, de culture vivante. « Ibysse » est le témoignage d’une histoire de couple en perdition sur le chemin de cette sinistre vie quotidienne qui engloutit tout sur son passage, ce quotidien usant et soporifique qui laisse se faner les plus belles histoires d’amour en changeant l’essence même de ce que chacun fut, au commencement de l’aventure. « J’aime encore celui que tu étais, plus celui que tu es devenu… »
Ne nous mentons pas, il y a une curiosité un peu morbide de nous autres femmes à appréhender ce qui se passe dans la tête d’un homme quitté. Une vague de cruauté qui espère secrètement qu’il va « morfler », une incertitude savamment orchestrée de le laisser espérer une réconciliation possible quand dans nos têtes, « un break » c’est déjà la certitude d’une fin annoncée, la mise en place de ce petit jeu pervers du « Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis » qui ressert à chaque fois un peu plus la laisse du désir, et le laisse envisager un infléchissement possible. Une femme n’est jamais aussi amoureuse que lorsque son homme lui échappe… Notre petit côté masochiste sans doute…
Je salue l’exercice de se mettre ainsi à nu, de le faire avec franchise et abandon, de décrypter chaque émotion, chaque geste, chaque idée avec sincérité dans un style littéraire recherché, subtil, et soigné. Les qualités d’écriture sont indéniables et requièrent de prendre son temps pour lire ce roman qui s’approche d’une autocritique, mais qui est, au fond, une quête initiatique vers une analyse comportementale et un pas en avant vers l’avenir.
Je remercie les éditions Cherche Midi de leur confiance.