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IL ÉTAIT DEUX FOIS, Franck Thilliez – Fleuve, sortie 4 juin 2020.

Sagas avril 2008, quelque part en Haute – Savoie. Une jeune fille disparaît, lors de son entraînement de vélo. Son père, Gabriel Moscato, lieutenant de gendarmerie, ne cessera jamais de la chercher durant les 15 jours suivants. Épuisé par ses recherches, il finit par s’endormir dans un hôtel, chambre 29, où Julie, sa fille, a travaillé durant l’été. Il se réveillera, chambre 7 « tétanisé face à son double », « lui, en beaucoup plus vieux.» Nous sommes le 10 avril 2020, soit 12 ans plus tard. Le trou noir complet, Gabriel ne se souvient de rien, il souffre d’une amnésie psychogène atypique : il est resté «prisonnier du passé.» Ce phénomène purement psychologique est «un moyen de fuir une insupportable réalité, un traumatisme. Quelque chose d’extrêmement violent qui, à un instant précis de votre vie, a poussé votre esprit à verrouiller les portes, pour se protéger lui-même.» Que s’est-il passé de si terrible dans sa vie pour que son cerveau se bloque dans ce mode d’autoprotection ?

Nous sommes nombreux à penser que la scène d’entrée d’un thriller est primordiale et qu’elle doit être magistrale. Dans ce domaine, Franck Thilliez n’a plus rien à prouver : une accroche spectaculaire, très cinématographique, qui me fait désormais claquer des dents quand je vois passer un étourneau. L’ambiance est très anxiogène, glaçante, et suscite immédiatement une forte tension : la vallée de Sagas enferme sa population, l’absence de soleil, phénomène appelé “mort noire”, pendant plusieurs semaines, due à la géographie accentue cette forme d’emprisonnement. Thilliez est un des grands maîtres dans la mise en place de ce genre d’atmosphère.

Mais, ce que je veux souligner, puisqu’il serait criminel de développer davantage l’intrigue, c’est cet enthousiasme extraordinaire de l’auteur qui construit son histoire, et sa jubilation intense qui transpire à chaque page. Franck Thilliez s’éclate et ça se sent. Il exulte à l’idée de pousser son lecteur dans l’expectative, en l’obligeant à relever le moindre indice, plaque d’immatriculation, nom des personnages, recherche de palindromes, une vraie partie d’échecs s’engage entre son lecteur et lui. «Un vrai roman est un jeu d’illusions, tout est aussi vrai que faux, et l’histoire ne commence à exister qu’au moment où vous la lisez.» Nous devenons tous des Sherlock Holmes en herbe, et à la fin, il nous piège quand même. Cette exaltation, cette jubilation de l’écrivain qui prend encore du plaisir, montre que Franck Thilliez, dont l’imagination est toujours aussi fertile n’en a pas encore fini avec nous. Ce roman est un cadeau truffé de surprises, la version papier étant une manne.

Je pourrais vous dire des tas de choses sur « Il était deux fois », j’ai environ 8 pages de notes. Je vous conseillerai seulement d’ouvrir grands vos yeux et vos oreilles et de savourer ce roman exceptionnel sous bien des aspects. Outre la mécanique parfaitement orchestrée, le suspens savamment dominé, ce roman offre tellement plus que cela.

C’est un roman artistique : on y parle de peinture (ressemblances avec des toiles de Goya – présence de Caravage), de littérature, il y est fait mention de grands noms d’écrivains, notamment de romans policiers.

C’est un roman sur les faux-semblants : les doubles et les miroirs.

C’est un roman sur la mémoire, de belles réflexions sur le temps passé et le temps perdu, mais aussi sur la reconquête de soi. « Il était pareil au prisonnier qui affronte la liberté après des années de réclusion, redécouvre des visages changés, un monde différent, et se rend compte que ce temps compte, que ce temps perdu entre quatre murs ne pourra jamais lui être restitué. »

C’est un roman sur l’amour filial (entre Gabriel et Julie, et entre Paul et Louise)

C’est un roman sur l’amitié (celle du passé, et celle à reconquérir) « Depuis le retour de Moscato, les vieux secrets crasseux de Sagas remontaient à la surface »

Et c’est évidemment un roman truffé d’énigmes, comme vous l’avez compris.

« Il était deux fois » ressemble à une faille spatio-temporelle sur fond de « Highway to Hell » dans laquelle le lecteur serait tombé, un peu comme Moscato. Les personnages centraux sont charismatiques, les personnages secondaires angoissants et les personnages absents, très présents. Il s’agit d’un roman construit grâce à une intrigue à tiroirs, parfois même sous forme de poupées russes : plus vous croyez avoir de certitudes, plus Franck Thilliez ouvre de nouvelles boîtes déployant ainsi de nouvelles pistes. Il faut savoir faire preuve d’un peu de “Sagasité” pour tout décoder…

Ultime surprise, cerise sur le gâteau  : il fait de nombreux cadeaux à sa fan base, mais il vous faudra les découvrir. Oui, on peut lire un thriller de cet acabit et sourire. Un sourire qui dit merci, un clin d’œil de reconnaissance pour un si jouissif moment de lecture.

 

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