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SEUL AVEC LA NUIT, Christian Blanchard – Belfond, sortie le 16 mai 2019

Éric de la Boissière est le père d’une petite fille atteinte de déficience rénale. Après plusieurs dialyses, la greffe reste la seule solution possible pour la maintenir en vie. Dû à son groupe sanguin rare, c’est une quête impossible. La seule solution est de trouver un organe à acheter… sur le marché noir. Que sommes-nous prêts à faire pour sauver nos proches ? Gilles Patrick est chirurgien en orthopédie et en traumatologie. Sous la menace d’une arme braquée contre les têtes de sa femme et de sa fille, il est contraint de procéder à des opérations qui défient toute morale. Que sommes-nous prêts à accepter pour sauver nos proches ?

Attention ce bouquin est un concentré d’émotions pures ! Toute lecture dans un lieu public peut vous exposer à de nombreux regards interrogateurs. Quatre saisons pour quatre étapes de vies, quatre saisons pour rencontrer des personnages qui vont vous bouleverser : une petite fille dans un conteneur qui fuit son pays et reste en vie sous les cadavres de ses compatriotes de fuite, Gilles Patrick chirurgien orthopédiste spécialisé en traumatologie, monsieur Denis tortionnaire de son état bien décidé à faire du fric en exploitant des gosses, Némo vieil homme de 80 ans qui vivote en ermite dans un wagon à Brest, Muette une petite fille tombée du ciel qu’il prend sous son aile, Éric de la Boissière père d’une petite fille sous hémodialyse, Sayid et Diarra, enfants des rues aux discours parfaitement rodés. Tous ces personnages forment une ronde qui va vous donner le tournis et vous emporter pour une éprouvante valse des émotions.

Pour moi, l’intelligence de ce roman réside dans les personnages. Des gens ordinaires : des gosses qui tentent de survivre, des adultes qui n’ont rien de manichéen. Christian Blanchard a effectué un travail exceptionnel sur la densité des personnages et ce sont eux qui mènent la danse. Ils sont profondément enracinés sous différentes strates de violence et de misère, tantôt ordinaires, tantôt extraordinaires.

Séparons un instant les enfants des adultes. Au sujet des enfants, vous allez avoir mal, ressentir révolte, pitié, compassion, mais pas seulement… Ils vont vous éblouir par leur volonté de s’en sortir, vous faire sourire par leur naïveté, vous émouvoir par cette forme de rébellion enfantine, restants persuadés que le monde a quelque chose de bon à leur offrir, malgré les horreurs mises sur leur chemin. Le début du roman évoque une petite fille dans un conteneur. Après plusieurs jours de voyage, les morts s’accumulent, les adultes crèvent de soif, de faim, de fatigue. Elle tient bon. « Elle se souvenait du message mille fois entendu avant de partir. Tu verras, petite, là-bas, des hélicoptères survolent la capitale, Paris, et déversent du parfum. Les gens sont gentils et accueillants. Pas de souci. Tu auras des sourires. Tu trouveras rapidement du travail et tu gagneras beaucoup d’argent. » Autant dire que la chute est douloureuse… Sayid et Diarra, sont deux gosses des rues qui font la manche. Pour rentrer plus d’argent, monsieur Denis s’est chargé de modifier leur apparence. Même s’ils sont laissés libres dans la rue en journée, ils sont en réalité prisonniers d’un système, d’une organisation millimétrée. «Un surveillant leur passait un collier autour du cou, comme les chiens, puis une chaîne les liait les uns aux autres, aux deux extrémités du mur. Ainsi entravés, les enfants n’avaient aucune possibilité de s’évader. » Et puis, vous allez découvrir Muette… Et Élodie… ressentir chacune de leurs émotions, sentir leur désarroi, appréhender leurs peurs.

Parallèlement à ces prodigieux portraits d’enfants, découvrez de saisissants portraits d’adultes. Deux hommes : l’un tortionnaire, l’autre chirurgien. Pour des raisons très différentes, ils suivent le même chemin et plongent dans les abysses de l’inhumanité. L’un gère une activité très lucrative, mais illégale, l’autre pratique des opérations sur des enfants en pleine santé, parfois pour en sauver d’autres. Dans les profondeurs de l’inhumanité, à la lumière de tout ce que l’homme peut avoir de plus immonde, d’instincts vils, de comportements écœurants, de gestes répugnants, surgit pourtant une profonde humanité, lorsque le lecteur s’y attend le moins, témoignant ainsi de l’ambiguïté totale et profonde de ce qu’est l’être humain : un concentré de contradictions. Le personnage de Némo apporte une balance intéressante de l’homme qui a vécu, droit dans ses bottes, honnête face à lui-même, réaliste quant à ses faiblesses et lucide sur les points de son existence qu’il aurait pu changer.

Avec des thématiques fortes, mais aussi préoccupantes, Christian Blanchard livre des problématiques de fond, et des réalités qui font froid dans le dos. Le roman se termine par quelques chiffres officiels qui vont vous faire pâlir…

Alors, j’aurais aimé rester encore un peu dans la vie de ces personnages, même abîmés, même barbares parce que leurs forces et leurs faiblesses sont le témoignage prégnant de ce que nous sommes : parfois bienveillants, parfois vicieux. Et puis, il y a tous les personnages dont je ne peux vous parler sans trop en dévoiler… et que je vous laisse découvrir. La plume de Christian Blanchard donne vie à ces personnages et plonge le lecteur dans une réalité difficile, mais nécessaire qui après avoir provoqué l’indignation, suscite immanquablement des questionnements.

Ce roman est une merveille d’humanisme sous l’inhumanité.

#SeulAvecLaNuit #NetGalleyFrance

 

 

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