« L’épaisseur d’un cheveu » de Claire Berest raconte les turpitudes de Etienne Lechevallier, l’homme le plus rigide que la terre ait jamais porté. Etienne est marié à une madone, Vive, photographe de métier et passionnée d’art. Ils partagent ? Un agenda culturel… et c’est à peu près tout. Etienne est correcteur et prend son métier tellement à cœur qu’il réécrit les romans qu’il reçoit à sa sauce. Il est l’un des derniers salariés de sa maison d’édition, « l’Instant fou ». Étienne a une particularité (outre sa rigidité maladive), il souffre de synesthésie (perception anormale d’une autre sensation que celle perçue normalement, dans une autre région du corps ou appartenant à un autre sens). Pour lui, les mots ont une couleur. Au grand nombre de ses qualités, il faut ajouter qu’il déteste l’art (le métier de sa femme), et il déteste aussi le mauvais emploi qu’elle fait de la langue française. Il est irritable, irritant et constamment irrité.
La quatrième de couverture l’annonce : dans 3 jours, Étienne va tuer sa femme. « L’épaisseur d’un cheveu » est donc un roman sur un féminicide, sujet qui, certes, ne peut laisser indifférent. Pour expliquer les raisons d’un tel acte, Claire Berest axe principalement son récit sur la personnalité d’Étienne, un homme détestable à tout point de vue, austère dans sa vie quotidienne et étroit d’esprit dans ses jugements. Sa femme, Vive n’apparaît que lors de rares scènes de rébellions qui servent exclusivement à décupler la rage intérieure de cet homme. Face à un tel sujet, il est toujours un peu ardu d’expliquer pourquoi on n’a pas aimé un livre, comme si la thématique se suffisait elle-même. Il est plus aisé d’affirmer que c’est un bon livre, comme si tous les textes traitant des violences faites aux femmes étaient forcément de bons romans.
Certes, la personnalité d’Étienne y est pour beaucoup. Il est absolument impossible de ressentir la moindre compassion pour cet homme qu’on a littéralement envie de frapper tant il finit par nous excéder. Heureusement, « L’épaisseur d’un cheveu » ne fait que deux cent trente-quatre pages, le supplice se termine assez vite. Pour résumer un peu les choses, voici quelques informations concernant Étienne. Il est hermétique à tout changement. Par exemple, il part chaque année en vacances au même endroit. Tous les mardis soir, il se rend avec sa femme à l’opéra. « Elle n’était pas sans savoir combien il aimait Mahler et surtout ce qu’il représentait pour eux deux – la semaine précédente c’était Boccherini, il aurait pu envisager son abandon, mais là, c’était insensé. Il avait essayé de lui expliquer cette évidence : qu’elle choisissait si mal le moment de lui faire faux bond, qu’elle trahissait un symbole, » et d’ajouter « Car sa défection était une trahison. » ! Tout changement dans la vie quotidienne est une déclaration de guerre. Du côté professionnel, Étienne a une haute opinion de son travail. Correcteur de métier, il juge sans arrêt les textes qu’il corrige, et prend donc la liberté de réécrire tous les passages qui ne lui conviennent pas. « Armé d’un stylo rouge qu’il était descendu acheter à la supérette, Étienne annota l’intégralité du texte, page après page, il en faisait l’exégèse ; bien sûr il relevait les coquilles, les maladresses, les fautes de frappe et d’orthographe, mais surtout il s’attaquait au texte comme dans un corps-à-corps avec un animal furieux et non domestiqué. Il le chevauchait à cru. »
Dans sa vie privée, il déteste à peu près tout ce qui constitue la personnalité de sa femme. Il n’aime pas sa façon de s’exprimer, « Vive massacrait régulièrement la langue en y introduisant des expressions anglaises comme si elle n’avait pas SU dire la même chose en français, elle était parfaitement au courant que ça crispait Étienne », il ne comprend pas grand-chose à l’art contemporain et trouve le métier de sa femme ridicule. Il se moque outrageusement des passions de celle-ci, comme celle pour le Himitsu dans lequel Vive trouve une forme d’apaisement. « Depuis le début de l’année Vive avait pour nouvelle passion ses cours de poterie japonaise qui coûtaient une fortune, cela consistait à fabriquer des objets de forme géométrique dans lesquels on enfermait hermétiquement, avant de les cuire au four, un objet symbolique pour se libérer des oppressions que l’on ressentait. Après cuisson, l’objet s’y trouvait prisonnier. Rien que d’en parler, Étienne avait envie de s’évanouir. À son avis, c’était l’attrape-nigaude d’un gourou adepte de la connexion à son moi intérieur, qui avait adapté à coups de truelle une réelle philosophie ancestrale japonaise aux goûts de femmes occidentales en quête de sens. »
Aussi, lorsque Vive commence à se rebeller dans leur vie privée en annulant des événements de leur « agenda culturel » ou en émettant un avis sur travail de correcteur « Étienne, pardonne-moi, je vais être un peu brutale, notre problème actuel c’est que tu ne corriges pas les textes, tu les réécris entièrement. », Etienne est outragé devant tant de culot. Oui, qu’on se le dise, Etienne a une haute opinion de lui-même et une impossibilité chronique à remettre quoi que ce soit concernant sa petite personne en question. J’avoue que certaines scènes de « L’épaisseur d’un cheveu » m’ont fait franchement rire tant j’imaginais ce type vivre avec moi et tâter mes « coups de pelle », histoire de lui remettre les idées en place.
Sauf que… pour apprécier un minimum le roman, j’aurais pu/dû me raccrocher à l’écriture. Pressentir que la plume de Claire Berest collait parfaitement au personnage n’a pas suffi pour que « L’épaisseur d’un cheveu » trouve grâce à mes yeux. Je vais être très honnête, mais il y a ici un condensé parfait de ce que je déteste le plus dans la littérature contemporaine : c’est ampoulé, pompeux, et pédant à souhait. Ni le personnage ni la thématique ne sauvent cet état de fait et je ne vais pas dire que j’ai aimé ce roman parce qu’il sert une « cause » (encore une femme qu’on assassine). Nous sommes dans ce milieu bobo parisien que j’abhorre, où excusez ma franchise on se regarde écrire plus qu’on écrit. Imaginez ! « On » préfère Gustav Mahler à Benjamin Biolay, cela vaut bien quelques coups de couteau !! Je déplore le manque de romanesque, l’absence d’imagination, l’égotisme insupportable, et surtout l’ennui absolu que j’ai pu ressentir à la lecture de ce texte. À défaut, je crois que je préfère encore tenter de lire écrit par ce qui terrorise le plus Etienne : « Comme s’il fallait craindre qu’une machine puisse être Kafka ou Céline ! Insensé ! Ha ha ha. Ça allait faire un grand tri. Et les journalistes de prononcer à l’anglaise Tchate Gi Pi Ti. Pour ne pas prononcer GPT ! Chatte j’ai pété ! Oui, ça pétait des textes bien foireux et on se bouchait le nez avec des airs de duchesse qui s’excuse à peine de l’odeur (…) »
Je fais très peu de chroniques négatives, mais il est hors de question de laisser planer le doute que sous prétexte d’aborder un féminicide, on puisse s’arroger la possibilité d’une palme d’or littéraire.