Site icon Aude Bouquine

GRANDIR UN PEU, Julien Rampin – Charleston, sortie le 9 mars 2021.

« Grandir un peu » est le récit d’un lien : celui de Lucas et de sa grand-mère Raymonde. Ils habitent une petite maison sur une colline, loin de tout où seule la nature y a ses droits. Raymonde qui prend de l’âge se met en quête d’une dame de compagnie. Jeanne débarque alors au milieu de ce duo si fusionnel, en ce lieu où chacun vient guérir ses blessures, se comprendre et renaître. 

Julien Rampin ne s’en cache pas : ce roman est un hommage à sa «mamie de la ferme, là-haut, dans les étoiles et partout où je suis.» Et moi, les manifestations de tendresse et d’amour envers nos aînés me touchent infiniment. Si cet hommage n’est mentionné que dans les remerciements, il s’est produit une chose étrange à la lecture : mon cerveau a automatiquement transformé le prénom Lucas par Julien. Plusieurs fois, j’ai remonté les pages en me disant qu’il s’était trompé, mais en vérité c’est moi qui modifiais d’instinct le prénom, comme si au fond de moi je savais…

J’avais aussi imaginé que l’arrivée de Jeanne, la future dame de compagnie, au milieu de ce duo provoquerait quelques remous, des incompréhensions, peut-être une certaine jalousie, mais je vous laisse découvrir pourquoi Jeanne a accepté ce travail et quel sera son rôle dans l’histoire. «Parce qu’il y a bien longtemps qu’on ne l’a pas regardée ainsi. Véritablement. Avec une vraie bienveillance. Un vrai regard. Une vraie envie de faire confiance. Une vraie promesse de quelque chose. Gratuitement, ou presque.» Jeanne est un être blessé, cabossé par la vie qui prend rendez-vous avec elle-même, là-haut sur la colline. 

Je préfère mettre la lumière sur la relation de Lucas avec cette grand-mère un peu excentrique, au caractère entier, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elle est le symbole d’une femme libre, autant dans ses pensées que dans ses actes, et elle transmet cette ivresse de liberté, ce droit fondamental à son petit-fils. Elle a pris la place d’une mère, tolérante, ouverte d’esprit, encline à la discussion : «C’est toi qui décides, Lulu. Tu décides ce que tu aimes, tu décides qui tu aimes, tu décides ce que tu aimes faire. Il n’y a que toi qui peux savoir qui est tu es vraiment. Ne laisse personne te dire qui tu es, mon Lulu. (…) Il n’en avait pas eu conscience durant ces heures d’enfance, mais elle lui traçait le chemin. (…) Elle construisait pierre après pierre, un mur qui le tiendrait à l’abri des bruits du monde. À l’abri de ces choses qui vous empêchent. Qui heurtent le vrai bonheur. Elle se voulait tolérante et lui montrait comment se tenir loin des jugements hâtifs.» 

« Grandir un peu » vient frapper à la porte de nos souvenirs, de nos enfances, de nos idéaux négligés, de toutes ces petites choses qu’on avait oubliées, de nos rêves d’enfant, de nos liens avec nos aînés. Julien Rampin raconte l’amour, le vrai, le pur, celui qui n’attend rien en retour, celui qui tombe comme les paillettes d’une boule à neige et se répand sur le monde. Son texte tendre, émouvant, entrecoupé de souvenirs d’enfance laisse entrevoir les blessures sans qu’elles ne viennent prendre toute la place. Ici, tout n’est qu’émotion, empathie, vulnérabilité du cœur, apprentissages et guérison. À travers ce roman, Julien parvient à créer du lien : celui qui nous unissait à nos grands-parents, mais aussi celui qui nous rassemble grâce aux souvenirs.

Ma Raymonde à moi s’appelait Gabrielle, comme l’ange au féminin, mais elle détestait son prénom, elle préférait Gaby. Elle était la bienveillance incarnée, profondément optimiste et même par temps de gros vent, elle tenait la barre sans s’arrêter de sourire. Elle avait connu la guerre, alors tout le reste n’était pas si grave… Quand je venais en vacances chez elle, on faisait des tartes de sable dans le jardin et on posait des pâquerettes dessus pour la déco. S’il faisait chaud, elle dormait par terre, au pied de mon lit, les mollets sur le balcon. Elle cuisinait comme personne. À Noël, elle passait 3 jours à mitonner tous ses petits plats, je me souviens encore de son chapon truffé et de ses palourdes farcies. Quand elle était anxieuse elle chantait « Dans la vie, faut pas s’en faire, moi je ne m’en fais pas », quand elle se disputait avec papi elle sifflotait « tu me pompes pompes pompes l’air… » Rien ne semblait pouvoir l’atteindre, sauf peut-être la disparition de sa moitié, le grand amour de sa vie, en 1999. Elle s’est éteinte le 12 octobre 2020, et le « bon vieux » n’a pas été magnanime. Elle n’avait pas mérité ça. Jusqu’au bout, elle a tenu une place de mère, s’enquérant toujours d’un « Tu es heureuse, ma chérie ? Tu sais la vie, ça va, ça vient, mais il faut être heureux. J’ai été heureuse, maintenant c’est à ton tour, les plus belles années sont devant toi. » 

La vie nous impose de « Grandir un peu » sans devenir trop raisonnable, sans perdre le petit grain de folie qui en fait le sel. « Grandir un peu » c’est aussi être confronté à l’existence sans perdre son âme d’enfant. «Nos rires d’enfance sont la seule chose qui vaille la peine d’être regrettée.» La mère n’est pas toujours celle qui nous met au monde, c’est aussi celle qui nous comprend, nous aime et contribue à nous rendre meilleurs, nous tient gentiment par la main en nous montrant le chemin, puis nous lâche pour s’émerveiller de qui nous sommes devenus. Avoir une grand-mère bienveillante dans sa vie offre un atout supplémentaire dans la construction de soi.

Merci, Julien, pour ce moment de tendresse, d’avoir su ouvrir les vannes du souvenir, d’avoir permis les rires et les larmes, d’avoir si bien décrit cette intimité solide et inoubliable qui lie deux êtres et qui rend la vie plus belle et plus supportable.

Quitter la version mobile
Aller à la barre d’outils