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FERMER LES YEUX, Antoine Renand – Robert Laffont, sortie le 12 mars 2020.

L’année dernière presque à la même période, je vous parlais de l’entrée fracassante dans le monde du noir d’Antoine Renand. Avec « l’empathie », il avait marqué mon esprit en développant des thématiques questionnantes, et intéressantes autour d’une trame très bien ficelée. Figurez-vous qu’il remet ça cette année, avec « Fermer les yeux ». Chronologiquement, « Fermer les yeux » siégeait déjà dans les pensées de l’auteur bien avant « l’empathie », même s’il est publié après. L’histoire a été écrite en 2005 sous la forme d’un scénario : cela devait devenir un film. Et puis, les hasards de la vie en ont décidé autrement. Cela veut dire qu’Antoine Renand n’a pas été obligé de faire de concession, que son texte est celui qu’il voulait qu’il soit et que le résultat est à la hauteur de ses attentes. Qu’en est-il des nôtres ?

Même si ce roman est finalement antérieur à « l’empathie », il est pour moi bien plus abouti, et sur de nombreux points. D’abord, j’ai senti un gros travail sur la trame de fond, peut-être inspiré d’un fait divers réel, peut-être de plusieurs. C’est extrêmement documenté, les références à d’autres tueurs en série sont peaufinées et cela renforce la crédibilité du récit. Ensuite, et c’est là pour moi un point déterminant, Antoine Renand a effectué un remarquable et saisissant travail sur les personnages. Les trois protagonistes principaux, Dominique Tassi le gendarme retraité, Nathan Rey l’écrivain spécialisé en criminologie et Emma Marciano l’avocate sont assurément parfaitement dépeints psychologiquement parlant. Le lecteur entre littéralement dans leurs têtes : c’est à mon sens suffisamment réussi pour que cela soit souligné. Pour moi, c’est un point capital dans un thriller : il ne s’agit pas seulement de soigner l’intrigue, il faut également que les personnages contribuent à la servir. C’est le cas ici.

Enfin, et c’est le grand plus que j’attends en ce moment dans mes lectures, il faut que l’auteur développe des thématiques sociétales qui m’apportent de réelles réflexions durant ma lecture, même s’il s’agit, à la base, de pur divertissement. Antoine Renand a aussi eu cette intelligence-là : la force des mots, des personnages charismatiques qui servent des scènes quasi cinématographiques et des questionnements centraux qui font cogiter le lecteur.

Sans rentrer dans un résumé précis du roman que je préfère vraiment vous laisser découvrir, j’en ai trouvé plusieurs très intéressants. Les dires d’une personne victime d’une addiction sont-ils crédibles ? Les doutes et les certitudes professionnelles qui gravitent autour de Tassi posent beaucoup de questionnements sur ses propos et sur ses actions. Quelles sont les conséquences de couvrir une faute grave pour le responsable de la faute en question ? Est-ce une façon de l’aider ? Une forme d’absolution ? Un encouragement à continuer dans ses errements ? L’empathie (on en revient finalement toujours au premier roman) est-elle finalement synonyme d’absolution ? Dans la première partie du roman, très dense, très psychologique, beaucoup d’informations sont données sur la nature de certains actes ou de certains comportements. On pourrait y voir des longueurs, mais elles servent considérablement l’évolution de l’intrigue et des personnages dans la seconde partie. Antoine Renand a pris son temps, il a fait preuve d’un considérable souci du détail, n’a rien laissé au hasard. La mécanique se met lentement en place, elle devient tourbillon, puis implacable rouleau compresseur qui n’existe que pour niveler un fondamental besoin de rédemption. Car, la rédemption est bien le cœur du roman : se regarder en face, accepter de s’être trompé, devenir le « seul contre tous », braver sa hiérarchie.

Enfin, ce livre pose la question de la justice et de l’erreur judiciaire. Ma fille de 10 ans qui visitait très récemment un tribunal m’a répétée que le juge avait dit aux enfants qu’il ne se trompait jamais, car il n’était pas seul à juger… Je vous laisse apprécier une telle affirmation…  « Les magistrats, tout en haut, qui pensent que la justice ne peut pas se tromper ; ou alors que, quand elle se trompe, il vaut mieux ne pas le dire, car l’admettre aurait des conséquences plus fâcheuses que la révision. » Toute puissante justice dépourvue de doute, bénie sois-tu ! Je souligne la brillante analyse sur la loi de proximité en fin de roman.

Antoine Renand l’aborde par deux prismes. D’abord en tentant d’imaginer ce que fait la justice quand elle se trompe, puis en développant le discrédit que cela jette sur les enquêteurs qui ont rapporté à la justice des preuves contribuant de la prononcer. Enfin, les questions posées sur la relation justice-médias sont très pertinentes « Elle dit qu’un grand procès se gagne à soixante-dix pour cent dans les assises, à trente pour cent dans les médias. »

« Fermer les yeux » porte bien son titre, vous comprenez rapidement pourquoi, votre conscience sera certainement taraudée. Le lecteur entrevoit la patte du scénariste qui choisit de privilégier une balade à travers les époques pour mieux construire son intrigue, de ne pas forcément favoriser l’unité de lieu et de beaucoup miser sur le charisme de ses personnages qui portent littéralement l’histoire. Le second roman est souvent le plus difficile à écrire, celui que le lecteur attend au tournant pour mesurer ce que l’auteur a dans le ventre. Pas d’inquiétude à avoir concernant Antoine Renand : il signe ici un deuxième opus diablement efficace.

Je remercie les éditions Robert Laffont et la Bête Noire de leur confiance.

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