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BOREAL, Sonja Delzongle – Denoël, sortie le 8 mars 2018

Base Arctica, Groenland, janvier 2017. Une climatologue, un glaciologue, une géologue, un sismologue, un cuisinier, un photographe et son chien échouent sur l’Inlandsis, cette immense masse glaciaire qui représente 80% du territoire groenlandais. Leur mission officielle ? Observer les conséquences du réchauffement climatique depuis le point le plus reculé du globe avant le Pôle. Ils évoluent sur cette terre inhospitalière durant la nuit polaire, période durant laquelle le soleil ne se lève pas. « Ici c’est la nature, les éléments, qui mènent la danse. » Parallèlement, Luv, biologiste, est chargée de répertorier les hécatombes animales inexpliquées pour le compte d’une organisation, cachée dans une maison au bout du monde, depuis la tentative d’assassinat dont elle a fait l’objet.  Justement, lors d’une sortie sur l’Inlandsis, l’équipe de scientifiques découvre un millier de boeufs musqués prisonniers de la glace. Avec l’aide de Luv, alors frappée par un drame personnel, ils vont tenter de découvrir ce qui s’est passé sur cette terre et quelles sont les causes de cette hécatombe. S’ouvre alors la découverte d’une terre de légendes, où l’homme est remis à sa place et où la nature reprend tous ces droits.

Sonja Delzongle est une magicienne. Après la moiteur rituelle africaine, le froid angoissant de la nuit polaire entre en vous pour tous les pores de la peau. Il vient s’infiltrer jusque dans votre esprit en posant une question essentielle, fondamentale, « Qu’avons-nous fait de/à notre planète ? » Sans vouloir faire de raccourci, à l’heure des prémices d’une révolution orchestrée par les gilets jaunes, mouvement commencé à cause d’une hausse annoncée du prix du carburant, il est quand même intéressant de constater à quel point l’homme est ambivalent, incohérent, pour ne pas dire à côté de la plaque. Nous sommes tous d’accord pour faire du sauvetage de la planète une priorité absolue, mais surtout sans toucher à nos privilèges quotidiens. Nous nous donnons bonne conscience en faisant le tri de nos ordures, nous nous vantons d’être tous des écolos dans l’âme, mais sans vouloir rien sacrifier du début du commencement de nos conforts personnels. Avant de me faire lyncher sur la place publique pour la teneur de mes propos, j’ajoute simplement qu’avec le recul, les 5 semaines consécutives d’action des gilets jaunes, tout le monde a bien fini par comprendre que la hausse des carburants n’était qu’un prétexte à un malaise bien plus profond. Il n’empêche que cela me donne un bon angle d’attaque pour cette chronique.

Nous sommes donc dans un huis clos, entre le thriller psychologique et le thriller écologique. Je ressens toujours beaucoup plus de plaisir à lire un roman dont l’action se déroule en milieu hostile. Ici, la nuit polaire, le froid polaire, les conditions de vie extrêmes apportent au récit un côté fascinant, exacerbé par cette impression que le poids de chaque action peut se révéler fatal. Comme si, la sanction derrière chaque action était immédiate et sans retour possible.

« Luv (…) prend la pleine mesure du lieu où ils se trouvent. Quelque chose qui ressemble à l’infini. Une immensité obscure où une clarté fantomatique peine à émerger et où elle se sent vulnérable et insignifiante. S’ils reviennent vivants c’est parce que cette puissante nature l’aura bien voulu et les aura généreusement épargnés avec la plus grande indulgence. »

Le portrait de chaque personnage brossé par Sonja Delzongle se fait avec douceur, profondeur et surtout dans un processus d’évolution lente, ralenti par ce froid omniprésent. Certains aspects de la personnalité émergent comme lors d’une décongélation, lorsque poussé dans ses retranchements, chacun est obligé de dévoiler un morceau de lui-même pour être épargné. Ainsi, le portrait de Luv, mère imparfaite, à la fois coupable et déculpabilisée de ce qu’elle ne peut changer, est très réussi.

Outre l’écologie, d’autres thèmes sont habilement développés dans ce roman: la maternité, les minorités ethniques, mais surtout cette volonté intrinsèque de l’homme de devoir survivre à tout prix, par n’importe quel moyen. Ainsi, le parallèle avec l’ours, omniprésent, accentue la bestialité de l’homme qui retrouve ses instincts primaires lorsqu’il s’agit de sauver sa peau.

Ce roman laisse beaucoup de place à l’imaginaire, renvoie aux mythes et légendes d’une peuplade inconnue, laisse planer la magnificence des aurores boréales dans une nuit d’encre, n’épargne ni les personnages ni le lecteur qui retient son souffle glacé à chaque page. J’ai adoré me perdre dans cet espace hors du temps, dans ce silence assourdissant, dans cette immensité blanche où seuls résonnent des coeurs qui battent et des corps qui luttent contre une mort certaine.

« Ici, le silence est celui d’une nuit profonde, insondable, glaciale. Un silence qui s’insinue jusqu’aux confins de l’âme, qui sourd dans les veines, emplit les oreilles, un silence que l’on respire comme un air épais. Le silence des glaces. »

Une très belle réussite que je vous invite à découvrir sans tarder.

 

 

 

 

 

 

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