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LA CHAMBRE DES DIABLESSES, Isabelle Duquesnoy – Robert Laffont, paru le 2 février 2023.

La chambre des diablesses de Isabelle Duquesnoy

« La chambre des diablesses » d’Isabelle Duquesnoy s’ouvre en 1680, un jour d’exécution. Trente-quatre exécutions sont annoncées par l’aboyeur publique. Une seule intéresse la majorité de la population, celle de la Voisin. Qui est cette femme que l’on appelle la Voisin ? « D’abord, je ne suis pas empoisonneuse. Hic ! Je suis devineresse. Les astres me causent, les esprits communiquent avec moi. Et j’ai des pouvoirs. Tout le monde m’appelle la Voisin, alors que mon nom est Catherine Monvoisin, tâchez de vous en souvenir, on parlera de moi plus tard…. » Juchée sur une charrette, dans la robe blanche réservée aux condamnés, elle se rend à l’échafaud. Un sort particulier est réservé aux empoisonneuses, une mort lente et atroce : Catherine Monvoisin sera brûlée vive. Lors de ce prologue, on apprend également que sa fille Marie-Marguerite Monvoisin à elle aussi était arrêtée. Elle a 21 ans. Au moment où elle prend la parole, cela fait huit mois qu’elle est enfermée. On attend d’elle qu’elle livre les clients, les complices, les crimes et les recettes de sa mère. Les interventions de Marie-Marguerite se font sous forme épistolaire par des billets adressés à M. de la Reynie (considéré comme le père de la police judiciaire française), a priori le seul en mesure de la sortir du trou à rat dans lequel elle gît. Après ce prologue, le lecteur oscille entre l’histoire de la Voisin et de sa fille, et ses fameuses lettres.

« La chambre des diablesses » sonne comme une confession. Nous sommes sous le règne de Louis XIV. À travers son activité, Catherine Monvoisin est amenée à rencontrer et à aider quasiment toute la cour. Surtout les femmes qui veulent soit se débarrasser d’un mari, d’un amant encombrant ou d’une rivale dangereuse, soit commander des philtres d’amour pour rester dans les petits papiers du Roi. D’abord sage-femme, Catherine Monvoisin va rapidement se tourner vers des activités plus « illégales » comme l’avortement et plus « occultes » comme la divination, puis la sorcellerie. Elle va transmettre tout son savoir à sa fille Marie-Marguerite, du nom de ses clientes (principalement des femmes) aux recettes de ses poisons. L’évolution des demandes de sa clientèle ainsi qu’un léger penchant pour la cruauté vont amener cette femme à franchir la ligne rouge de la morale… de nombreuses fois. 

Le portrait de la Voisin croqué par Isabelle Duquesnoy est un enchantement. Isabelle a le verbe haut, le sens de la formule et un humour décapant. On rit beaucoup dans « La chambre des diablesses » grâce aux dialogues piquants et aux situations parfois ubuesques. La Voisin a un caractère épouvantable, sans aucune moralité. Meurtrière à ses heures perdues, infidèle régulièrement, vulgaire de type mégère, elle ne lésine pas sur le chantage, l’augmentation de ses tarifs lorsqu’elle est excédée ou que la demande vient d’une personnalité en vue. Et pourtant, sous la plume d’Isabelle Duquesnoy, il m’a été impossible de détester cette femme… J’ai même ressenti une certaine compassion pour elle dans sa quête pour se faire une place au soleil. Dans un monde où elle n’avait clairement pas sa place, elle est devenue indispensable ! Elle est presque une féministe ancienne génération ! (À prendre au second degré…) L’exercice de style consistant à nous la rendre presque sympathique demandait une dextérité considérable et des recherches historiques colossales. Il fallait raconter tout en lui trouvant des circonstances atténuantes et cela malgré l’horreur de ses actes. Pari réussi ! J’ai également été très sensible à la relation mère-fille explicitée dans le roman. Marie-Marguerite craint sa mère autant qu’elle l’admire. Elle navigue sans cesse entre deux eaux, et cela jusqu’au fond de sa cellule où parler pourrait éventuellement la sauver.

Je ne veux pas oublier le cadre qu’Isabelle Duquesnoy met en lumière dans « La chambre des diablesses », car le roman est aussi la photographie d’une époque. Loin de la cour et de l’éclat, l’atmosphère est sordide et puante. À la cour, on oscille entre faste et crasse, rivalités, convoitises, mesquineries et coups bas. Les préférés d’aujourd’hui sont les bannis de demain, et le personnage d’Athénaïs de Montespan le démontre bien. 

 « La chambre des diablesses » est une bonne façon de s’immerger dans l’Histoire de France sans le côté barbant, une réconciliation avec le sujet pour les réfractaires en quelque sorte. Ludique et merveilleusement bien écrit, caustique et cynique dans le traitement des personnages, Isabelle Duquesnoy n’a pas son pareil pour brosser ses personnages avec l’humour qui la caractérise. Le monstrueux devient plus admissible, par le sourire, suivi du rire franc. Intelligent, mordant, ce roman vous fera passer un excellent moment de lecture. À découvrir, bien évidemment !

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