Aude Bouquine

Blog littéraire

« Le magasin des jouets cassés » fait partie de ces romans qui, quelle que soit l’époque, quel que soit le moment, quel que soit le vécu du lecteur distille des vérités qu’il est bon de réentendre et de relire. Cela lui confère une dimension éternelle, presque immortelle tant il délivre des messages sagaces et éclairants. Julien Rampin est un brillant observateur de ses contemporains, bienveillant, toujours en recherche du verre à moitié plein, une âme qui semble avoir vécu mille vies tant l’œil qu’il pose sur les êtres qui l’entourent est sage : sa vie, comme ses romans, est un poème.

Plusieurs âmes vivent dans cet immeuble parisien. Chacun possède une façade qu’il livre aux yeux de tous, et puis une autre, plus dissimulée, tenue secrète qui ne se dévoile qu’une fois les portes closes. Une métaphore de ce que nous sommes, ni bons ni mauvais, guidés par nos vécus, nos blessures, nos joies, nos espérances. Jusque dans la détestation, l’auteur lève le voile sur des blessures intimes qui permettent au lecteur d’ouvrir ses chakra de compassion pour révéler un nouveau visage sous une façade rugueuse, parfois détestable. 

Construit en trois actes, aujourd’hui, hier et aujourd’hui, hier aujourd’hui et demain, le roman ressemble à ces carrousels qui tournent et qui, lorsqu’ils s’arrêtent, dévoilent une autre personnalité, parfois dans le même corps, un autre pan de vie, un autre roman dans le roman. Dans ce récit, l’auteur est un passeur de mots et d’histoires, comme Paul-Henry qui arpente les couloirs de cet immeuble, sonne à toutes les portes pour proposer aux locataires un prêt des livres qu’il a aimés. Au-delà de ces histoires sorties de l’imaginaire de nombreux écrivains, Paul-Henry ouvre une brèche vers un tout autre univers, plus subtil, celui de la connaissance de soi, et parfois, celui de la guérison d’âmes blessées. « Les livres sont des messagers. Ils sont porteurs de ce qu’on n’ose pas dire. Ils parlent de ce que tu ignores de toi-même, et mettent en lumière ces sentiments que tu n’oses avouer à personne. C’est comme ça qu’ils te soulagent. Parce qu’ils viennent te parler de toi, cet illustre inconnu. C’est pour ça que parfois, un livre nous transperce et que jamais, jamais, on ne l’oubliera. Quoi qu’on lise après. » Julien Rampin déverse des torrents d’amour pour la littérature et explore avec finesse et intelligence le pouvoir suprême des mots, ceux qui émeuvent, ceux qui construisent, ceux qui cicatrisent, ceux qui apaisent. Ce don, que l’écrivain fait à Paul-Henry, Paul-Henry lui-même le lègue à son tour de bien des façons…

« Le magasin des jouets cassés » raconte la collision de plusieurs êtres. Martine, Paul-Henry, Lola et Léon. Ils sont tous cabossés à leur façon, ils espèrent tous quelque chose susceptible d’apaiser leurs déceptions, ils se comportent tous différemment de ce qu’ils sont en réalité. Je n’en dirai pas davantage. Ils sont simplement humains, comme vous, comme moi, comme votre voisin qui écoute Mylène Farmer trop fort, ou votre collègue de bureau qui espionne tous vos faits et gestes. Ils sont ambigus et ambivalents. Ils sont en lutte, une pièce, deux faces. « C’est une légende, indienne je crois. On me l’a racontée quand j’étais môme, et elle m’a marqué. Elle raconte que nous avons deux loups qui cohabitent en nous. Deux bêtes sauvages qui se battent en permanence. L’un représente la peur, et l’autre, l’amour. Et toute notre vie, ils se battent l’un contre l’autre. Et la morale de l’histoire, c’est que c’est celui que l’on décide de nourrir qui gagne. » Ils s’observent, ils se jaugent, ils se reniflent, ils s’apprivoisent. Ils apprennent à lever le voile des apparences, à se raconter, à se confier, à faire de l’autre son essentiel. « Si la famille du sang est un socle important, celle qu’on se crée au gré de la vie a tout autant de valeur. Totalement improbable et pourtant si présente. La magie des rencontres. »

Julien Rampin est un observateur de l’âme humaine, nous sommes les témoins de ses réflexions. Il nous appartient de garder quelque chose du « magasin des jouets cassés ». Un personnage attachant, une scène émouvante, une idée bouleversante, une réflexion éclairante. À chacun de faire son chemin dans le roman. Je retiendrai ceci sur le thème de l’amour : « Aimer. N’est-ce pas justement s’en aller, pour mieux laisser vivre l’autre ? Pour ne pas décevoir ? Au bout du compte, c’est toujours ce qui arrive. Tout le monde ne peut être que décevant. Personne ne peut être à la hauteur de ces espoirs insensés qui gouvernent les relations, quelles qu’elles soient. » Je mémorise cela qui sonne presque comme une épitaphe : « La vie est un poème. Un poème noir, dramatique, incompréhensible écrit par un fou. Un poème que l’on voudrait déchirer et ne jamais avoir lu. Un poème qu’on récite par cœur dans les méandres de nos cœurs abîmés. »

Comme pour « Grandir un peu », j’ai ressenti avec beaucoup d’émotions la sensibilité extrême de Julien, une sensibilité exacerbée qui sublime autant qu’elle peut mettre à terre. Un auteur doté de raison, sans être forcément « raisonnable », un homme adulte avec un cœur d’enfant qui retranscrit avec beauté des choses simples, s’attache aux détails qui font de la vie un poème, parfois triste, parfois joyeux. Il devine l’intime, déchiffre le secret des souvenirs enterrés, dénoue tristesse et amertume des évènements passés pour réconcilier. Il ressemble tant à Paul-Henry, « Un contemplatif de ses contemporains. Pour lui, comme il aime à se le répéter souvent, la vie est un poème. Si on regarde bien autour de soi, il y a tant de beauté dans trois fois rien. »

GRANDIR UN PEU, Julien Rampin – Charleston, sortie le 9 mars 2021.

6 réflexions sur “LE MAGASIN DES JOUETS CASSÉS, Julien Rampin – Charleston, sortie le 12 Avril 2022.

  1. Yvan dit :

    Une très belle chronique, tout en sensibilité.
    Décidément, rien ne vaut des mots forts et appuyés d’une longue et touchante chronique

  2. Aude Bouquine dit :

    Merci my friend 😘

  3. Laplumedelulu dit :

    Je ne sais pas si tu as relu ta prose Aude, mais s’il te plaît, fais toi confiance et lance toi dans l’écriture. Tu as du talent. Tu m’as collé des frissons à te lire. Merci pour cela 🙏😘

  4. Aude Bouquine dit :

    Merci beaucoup

  5. Quelle belle chronique ! Je ne connais pas encore cet auteur, mais je songe à le découvrir avec ce roman, qui m’a l’air touchant.

  6. Aude Bouquine dit :

    Merci. J’adore son écriture ❤️

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