Site icon Aude Bouquine

LA PORTE DU CIEL – PARADIS PERDUS TOME 2, ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT – Albin Michel, sortie le 3 novembre 2021.

L’Odyssée humaine continue. Le tome 1 « La traversée des temps » nous avait laissé sur un redoutable cliffhanger digne des plus grands écrivains de polars. Le tome 2 « La porte du ciel » s’ouvre sur la suite directe, Noam de nos jours, avant de réouvrir les portes du passé. Après le Néolithique, nous sommes en Mésopotamie au troisième millénaire. L’homme nomade se sédentarise, il vit « en société » dans des villes telles que Babel. Babel, aujourd’hui l’Irak, est principalement connue pour sa tour, « celle qui permettra aux Dieux de descendre parmi les hommes », mais aussi pour la partie de la Bible qui lui est consacrée. C’est là que Noam sera amené à se rendre, après son étrange réveil dans la grotte, toujours à la recherche de Noura, l’amour de sa vie.

« Je préfère ne pas » vous dire s’il la retrouve ou non,

« Je préfère ne pas » vous expliquer comment Noam l’immortel revient à la vie,

« Je préfère ne pas» vous donner trop d’indices qui vous gâcheraient votre lecture. 

Si « La porte du ciel » est plus proche de l’histoire biblique, sachez que la maestria d’Éric-Emmanuel Schmitt vous fait totalement oublier cet état de fait. J’ai été si focalisée par le destin et l’histoire personnelle de Noam que je suis entrée au cœur de Babel sans faire de rapprochement. Ma connaissance de la Bible est certes assez limitée, mais ce que l’auteur fait avec ses personnages, qui il cache derrière eux est tout simplement sensationnel. Le début du roman est truffé de réflexions sur l’immortalité et du rapport entre l’homme et le temps. Lorsqu’on ne meurt pas, peut-on dire que l’on est vivant ? Noam navigue dans les eaux d’une prise de conscience aiguisée sur sa vie d’homme : toujours perdre des gens que l’on aime, rencontrer sa propre descendance même lointaine, vivre dans le souvenir et l’attente de Noura. Si « La traversée des temps » narre l’histoire de l’humanité, il ne faut pas oublier que c’est avant tout une magnifique et grande histoire d’amour entre deux êtres qui se perdent, se retrouvent, et se perdent, encore et encore à travers les siècles. En conséquence, ce tome 2 va également fouiller dans les questionnements relatifs à l’amour. Peut-on aimer deux personnes en même temps ? Quelles sont les barrières de la fidélité ? Et de manière plus générale : qu’est-ce que la fidélité ?

Noam est un personnage riche en enseignements. Avant son départ vers Babel, avant de connaître la nouvelle destinée des hommes, il persiste à vivre en harmonie avec la nature, en accomplissant des rituels que nous avons tous oubliés et que je souhaite rappeler ici, pour notre bien commun. « Je pratiquais la rêverie que m’avait enseignée Tibor, cette décontraction du cerveau qui, cessant de désirer, de consommer, de faire, abandonne tout rapport utilitaire avec l’univers, et se laisse pénétrer par ses forces. » Il insère dans le récit son expérience du monde, reliant toujours le passé au présent par l’insertion de données scientifiques, géographiques, philosophiques et bibliques. Tout ce qui relève des croyances des hommes et de leur mode de vie à Babel est décrypté ici. Nous avons beau être au 3e millénaire, les constats et les réflexions sont les mêmes qu’aujourd’hui. Ce parallèle entre passé et présent rend le récit passionnant et questionnant. « Le futur est le miroir du passé. Le temps n’avance pas, il tourne en rond, il se répète. Nous avons l’avenir dans le dos. » Depuis des siècles, l’homme a toujours voulu plus, mieux, sans jamais se satisfaire de ses acquis et cette course éperdue perdure. « L’homme franchit une limite en se dressant au-dessus de la nature, en ignorant sa place dans l’univers, en s’estimant supérieur à tout ce qui n’est pas lui ; il crée des villes, il invente l’écriture, les sciences, les hiérarchies sociales et, malgré les défaites ou les impasses, ne reviendra jamais en arrière. Babel ne s’est pas terminée avec Babel, Babel n’a jamais cessé de gratter le ciel, Babel renaît, se transforme perpétuellement. L’échec accompagne l’ambition, il ne l’interrompt pas. De dépassement en dépassement, l’aventure folle se poursuit. L’avenir reste un chantier ouvert. » Nemrod est ici un brillant exemple de la soif inaltérable de l’homme.

Noam au présent prend du recul sur son aventure. C’est sans doute cette analyse, fine, perspicace, intellectuellement honnête que je préfère. Grâce aux Intermezzos, le suspense est conservé quant à son sort et les épreuves qu’il affronte. Sa sagacité, son discernement et la subtilité de ses analyses en font un personnage attachant, haut en couleur et réellement fascinant. La religion, dans sa globalité, ce « torticolis mystique » qui pousse les yeux des hommes vers le ciel, justifie parfois de commettre des atrocités en son nom est finement analysée au fil du temps, avec authenticité et perspicacité. Avec recul.

Ce tome 2 aura été riche en enseignements et en questionnements. Profondément humaniste, « La porte du ciel » décrypte sans phare l’humanité dans son ensemble. « Voici ce que j’évoquais au début (…) : il y a l’homme et il y a l’humain, l’homme est fait, l’humain reste à faire. » Il est aussi riche en émotions, riche en rebondissements, riche en originalité créative, riche en imagination. Ce fut un plaisir de lecture intense, hypnotisée par la plume d’Eric-Emmanuel Schmitt.

LA TRAVERSÉE DES TEMPS – PARADIS PERDUS TOME 1, Éric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel, sortie le 3 février 2021.

Quitter la version mobile
Aller à la barre d’outils