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TE TENIR PAR LA MAIN PENDANT QUE TOUT BRÛLE, Johana Gustawsson – Calmann-Lévy, sortie le 6 octobre 2021.

«Te tenir par la main pendant que tout brûle» raconte encore une fois des destins de femmes, à trois époques différentes, désormais LA marque de fabrique de l’univers littéraire de Johana Gustawsson. Maxine est appelée sur une scène de crime : le mari de son ancienne institutrice Pauline Caron a été poignardé d’une trentaine de coups de couteau à viande. Lors de l’enquête, des éléments glaçants seront découverts dans la maison de Pauline. Comment cette femme, calme, bienveillante en est-elle venue à commettre un crime aussi atroce ? Lucienne Lelanger vit à Paris en 1899 lorsqu’un incendie ravage sa maison. Ses deux petites filles meurent dans l’incendie, mais Lucienne a des doutes quant à leurs disparitions. Elle entend alors parler d’une société secrète pratiquant spiritisme et magie noire. Ses espoirs renaissent. La jeune Lina est en conflit avec sa mère. Celle-ci travaille dans une Mad House, sorte de maison de repos. Lina y fera une rencontre singulière qui va changer sa vie. Que relie Maxine Grant, inspectrice en 2002, Lucienne Lelanger vivant en 1899 et la jeune Lina coincée en 1950 ? Dans cet opus, Johana Gustawsson laisse tomber ses héroïnes récurrentes et nous emmène cette fois-ci au Canada. Sa marque de fabrique, gérer plusieurs espaces-temps est toujours bien présente : ce fut un vrai plaisir de naviguer à travers les différentes périodes, se retrouver à la Belle Époque en 1899, puis dans une Mad House au Canada en 1949 et à nouveau à Lac-Clarence.

 

L’auteur n’a pas son pareil pour raconter des histoires de femmes à travers les âges. L’histoire de chacune s’entrelace lentement autour de l’histoire de l’autre, comme un lierre qui envahit et prend possession des destins. Les points de rencontre sont finement amenés, en douceur, presque sur la pointe des pieds et ne peuvent être perçus que par le lecteur attentif. Le patchwork qu’elle coud au gré des pérégrinations de chacune est subtil, discret, et chaque morceau de tissu se joint à ceux déjà en place grâce à un fil invisible. Toute anticipation est ardue tant elle met de l’âme et du cœur à créer une pièce majeure, originale et fine comme de la dentelle. Elle y parvient avec brio en obligeant le lecteur à ne pas lâcher sa main au risque de se perdre dans un dédale d’étoffes qui prises seules, laisse perplexe. L’Histoire avec un grand H prend toujours possession du roman dans ses textes, comme si l’auteur était guidée par elle pour parfaire sa trame. Rien de lisse, rien de facile. Un enchevêtrement de destins, un labyrinthe de tranches de vie, un dédale d’émotions vécues. Le patchwork fini est saisissant quand chaque pièce trouve sa place et que le lecteur finit par comprendre pourquoi elle est à cette place précise et non à une autre. Tout fait alors sens, et les petits fils blancs restés sur la toile lors de la couture permettent d’entrer plus précisément dans les arcanes de l’intrigue. 

 

« Te tenir par la main pendant que tout brûle » est délicieusement machiavélique. Johana Gustawsson aime et défend les femmes qu’elle place toujours au cœur de ses intrigues. Ici, il flotte une exquise odeur de mysticisme lorsque les discussions de sorcières et de médiums hantent le récit. « Ils possèdent une énergie, un fluide, qui ouvre une sorte de passage entre deux mondes. » Un féminisme latent teinté d’opinions sures et affirmées émerge, même en 1899 : «Réfléchissez : qui prions-nous? Un Dieu qui pense que nous, les femmes, sommes inférieures aux hommes; pour ce dieu, nous résultons d’un morceau d’homme, la côte d’Adam.» Elle a ce don de provoquer une empathie immédiate et fusionnelle entre le lecteur et ses personnages. S’attacher ainsi à eux, si vite et si fort laisse exploser les émotions tant on vit ce qu’elles vivent, ressentent ce qu’elles ressentent. Enfin, n’imaginez pas que ce roman est une promenade de santé, cela reste Johanna. La noirceur des ténèbres saura vous atteindre, vous n’y échapperez pas. 

Johana Gustawsson possède son univers singulier, sa patte narrative, sa manière unique de raconter les histoires et cela fonctionne à chaque fois. 

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