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LA SAIGNÉE, Cédric Sire – Fayard, sortie le 29 septembre 2021.

Une red room dans les profondeurs du dark web. Cette pièce peinte en rouge « accueille » en son sein une victime qui subira toute forme de tortures. Six participants, « six voyageurs des zones les plus sulfureuses du Web profond. Bien à l’abri chez eux, tout-puissants derrière leur anonymat. Leurs doigts humides sur leurs claviers. Leurs fantasmes en ébullition.” Le Grand Saigneur a le pouvoir de mort, Le Saigneur participe activement, et 4 voyeurs peuvent faire infliger des supplices ne provoquant pas la mort. Une jolie brochette de cinglés dont tous les desiderata sont exécutés par un bourreau, silencieux, discipliné, obéissant et impassible. « La saignée, la seule véritable pièce rouge pour connaisseurs avertis. Prenez part à cette expérience qui ne se présente qu’une fois dans une vie. »

Dans un même temps, rencontre avec Estel Rochand. Ancienne flic, virée pour cause de bavure policière, Estel s’est reconvertie dans le métier de garde du corps. Affûtée, ex-championne de boxe qui n’a pas froid aux yeux, elle travaille pour une saleté de la pire espèce Clément Droux, une ordure qui trempe dans une palanquée de sphères illicites. 

D’entrée de jeu, ce qui est assez frappant et plutôt inhabituel, c’est que j’ai rapidement pris en grippe la plupart des personnages (pour des raisons diverses, certes), mais l’auteur prend un malin plaisir à mettre assez rapidement l’accent sur des côtés de leur personnalités assez détestables. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre. Quentin Falconnier, flic, chasseur des « loups vicieux » qui naviguent à couvert sur le dark web, que le lecteur rencontre un peu plus tard dans le récit n’échappe pas à cette règle. Malgré de bonnes intentions, débusquer ceux qui organisent La Saignée, quelque chose m’a profondément dérangé chez lui sans que je puisse réellement mettre le doigt dessus. Difficile également de comprendre les actions et les réactions de Estel Rochand qui a l’air de s’enfoncer dans une spirale infernale dont le lecteur ne comprend pas les tenants et les aboutissants. Elle est entourée d’une aura mystérieuse où les coups font loi, tiraillée psychologiquement par des choses que l’auteur tait (volontairement) et qui provoquent des pertes de conscience de plus en plus fréquentes, des souvenirs absents de sa mémoire. Cédric Sire rassemble en 560 pages toute la lie de l’humanité, personnages inhumains, cruels, sadiques et barbares qui n’ont de cesse que de réduire les plus faibles au rang de chair à consommer, misogynes, obsédés par le sexe et la violence. Rassurez-vous, l’écrivain parvient à faire naître une réelle empathie pour certains de ses protagonistes dont la chair et l’âme à vif gagneront peu à peu vos faveurs, en révélant, pas doses homéopathiques, leurs secrets les mieux enterrés pour vous permettre de mieux les déchiffrer.

Et pourtant… Si l’on peut se demander ce qui se passe dans la tête d’un écrivain de thrillers pour imaginer de telles monstruosités, on peut également se demander ce qui se passe dans la tête d’un lecteur pour lire de telles abominations. Cédric Sire a un véritable univers qui lui est très personnel, une écriture incisive, parfois vitriolique, aussi tranchante qu’un Haiku Itamae. L’atmosphère sombre qu’il crée dans tous ses romans embarque le lecteur dans un autre espace temps, plus sombre, plus rouge aussi. C’est d’autant plus vrai ici, quand les portes du dark web s’ouvrent lentement pour laisser entrevoir le pire, engendré par notre société hyper connectée. Nous entrons dans un monde de voyeurisme où cachés derrière leurs écrans, des individus peu recommandables cherchent des sensations fortes, bien sûr illégales. Mais nous, lecteurs, nous sommes placés exactement dans la même position de voyeurs en quête de sensations…

Cédric Sire maîtrise tous les codes du thriller. « La saignée » est un page turner où les choses vont vite et où la psychologie des personnages est distillée avec grand soin : leurs secrets sont bien gardés. Le lecteur se pose mille questions et tourne les pages pour en connaître les réponses. Il est ferré. Il ne sera libéré qu’à la fin du roman où les masques tombent. Là aussi, les protagonistes qui avaient finalement gagné vos faveurs se révèlent enfin, et ne sont pas forcément ceux sur lesquels vous aviez misés. J’ai beaucoup aimé ce compte à rebours permanent qui apporte du rythme, véritable pulsation cardiaque du récit, agrémenté par de franches scènes de combat, très visuelles, décrites avec suffisamment de force pour qu’elles se déroulent littéralement sous vos yeux. Enfin, l’auteur vous envoie sur de fausses pistes que vous n’avez pas anticipées, des retournements de situation propres à ce genre littéraire. Les flashbacks qu’il utilise à dessein pour aider son lecteur à comprendre le personnage d’Estel sont à propos : nébuleux au début, ils deviennent de plus en plus intelligibles pour permettre d’appréhender sa personnalité et de comprendre comment elle en est arrivée là dans sa vie. Estel pour qui « La société est un dépotoir où tout le monde ne cherche qu’à vous baiser, à vous humilier, ou, au mieux, à se servir de vous. » est dans une spirale de destruction sans que l’on sache vraiment pourquoi. « La seule personne que vous aimez faire souffrir, c’est vous, insista la psy. C’est à vous que vous infligez une punition permanente. »

Si le roman étrille les hommes (ils sont tous de gros pervers sadiques sans aucune morale), il est plus pusillanime avec le sexe féminin. Dans chaque tête de chapitre, vous trouverez le mot femme : la femme en feu, la femme en cendres, les femmes qui passent, la femme sur la photo, les femmes du passé et du présent, la femme dans la pièce, la femme à rebours, la femme enragée. Mais, ne vous y fiez pas trop, car là encore, les cartes sont brouillées. L’intrigue ne se base pas sur une affaire de sexe, mais sur les relations que chacun entretient avec le sexe opposé, qui parfois déteint sur la personnalité ou provoque le rejet. Je regrette de ne pas pouvoir vous parler d’un personnage bien spécifique parce qu’il n’est pas mentionné dans la 4e de couverture. En l’introduisant de cette manière dans l’histoire, Cédric Sire apporte à son récit une dimension supplémentaire que j’ai trouvée passionnante. 

En résumé, « La saignée » n’est pas un thriller pour les fillettes. Le dark web ne regorge pas d’enfants de chœur. Certaines scènes sont trash, ultra-violentes parce que parfaitement décrites. Amateurs de sensations fortes, vous allez être servis, ce roman risque fort de hanter quelques-unes de vos nuits. «Est-ce que tu aimes?»

Merci aux éditions Fayard de leur confiance.

Ma chronique de « Vindicta », précédent roman de l’auteur

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