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JE REVENAIS DES AUTRES, Mélissa Da Costa – Albin Michel, sortie le 5 mai 2021.

Ambre, 20 ans, a une liaison avec un homme marié, père de famille, de 20 ans son aîné. Une liaison passionnelle. L’une de celle qui bouleverse une vie entière, se fait sentir plus grande, plus importante, plus désirable, une liaison qui devient le centre de son tout. Philippe espace ses visites, vient prendre quand il veut ce qu’il veut. Il a installé Ambre dans une garçonnière, lui achète lingerie et vêtements et vient satisfaire là ce que sa femme ne lui donne pas. Mais, «plus le temps passait, plus elle s’éteignait. Emmurée vivante dans le studio, sans autre espoir que sa prochaine visite.» Après une énième dispute téléphonique, Philippe débarque à l’appartement. Tout est noir. Tout est silencieux. Il trouve Ambre dans la baignoire. Elle s’est ouvert les veines. De désespoir. De lassitude. De désenchantement. Il lui sauve la vie en appelant les secours. Il est «coupable d’être à la fois son sauveur et son bourreau.» Ambre vient d’une famille où l’on ne se parle pas. «Pour se disputer, il aurait déjà fallu se parler. Or, chez les Miller, le silence était maître. Jamais un cri, jamais un mot plus haut que l’autre.» À qui se confier après une tentative de suicide ? Pour se donner bonne conscience, Philippe l’accompagne dans un hôtel au cœur des montagnes qui cherche des saisonniers. Elle y passera la saison d’hiver. Une chance de se reconstruire. Un moment pour faire le point. Une occasion de se désintoxiquer de lui. 

Mélissa Da Costa est l’auteur de deux romans avant celui-ci, « Tout le bleu du ciel » et « Les lendemains » tous parus chez Albin Michel. Achetés au fur et à mesure, j’ai pourtant commencé par « Je revenais des autres ». Cette lecture a été un pur moment d’enchantement. La citation d’Andrée Chedid donne le ton «Je revenais des autres chaque fois guéri de moi». Ce roman désosse les origines de la souffrance, pas à pas, et plante les graines de la guérison obtenue grâce aux autres. Un pied de nez à « L’enfer c’est les autres » de Sartre. La cicatrisation des plaies ne peut se faire que par étapes, comme celles du deuil. À chaque étape, un chapitre. À chaque chapitre, un resserrement des liens avec des êtres qui ne représentaient rien et deviennent essentiels. Ambre n’est pas de celles que l’on apprivoise facilement. « Parce que quand on laisse les gens vous aider, après, on ne peut plus vivre sans eux. » Ambre a du chemin à faire : se laisser approcher et aider, détruire peu à peu son mur intérieur, accepter de se confier et surtout oublier Philippe. Pour parvenir à guérir, elle va s’enrichir par les autres, leurs histoires, leurs vies respectives, leurs douleurs et leurs espoirs. «Les autres te font souffrir et ce sont ensuite d’autres “autres” qui te sauvent. Tous les maux viennent des autres, mais aussi toutes les guérisons.»

Ainsi, Mélissa Da Costa place sur son chemin Rosalie et Tim. À travers eux et grâce à l’amitié qui naît, le respect réciproque, l’absence de jugement, la bienveillance, Ambre apprend la confiance, en elle d’abord, puis dans les êtres qui traversent sa vie. Cela ne se fait pas sans heurts, mais les déceptions et les joies font partie de l’existence. À 20 ans, l’apprentissage de la vie adulte est semé d’embûches qu’il faut franchir. L’auteur a eu l’intelligence de donner à son personnage principal la majorité, ce qui évite les polémiques. Cependant, ce roman traite aussi de l’emprise d’un homme sur une jeune fille, faisant d’elle un objet de fantasmes et une échappatoire à son quotidien personnel un peu trop ronronnant. 

Mélissa Da Costa a construit des personnages solaires. Tout en nuance et en finesse, ils prennent vie entre les pages. C’est à travers eux que le roman vit, et c’est pour eux que le lecteur s’angoisse, rit, est ému. On n’a pas envie de sortir du roman tellement elle a su les rendre tendres, bienveillants et attachants. Ils nous rappellent nos jeunes années, où forts de grands principes sur la vie, nous tâtonnions dans les prises de décisions et où parfois, nous nous sommes aussi pris quelques fermetures de portes. Résolument positif, il laisse entrevoir la possibilité que les blessures d’enfance peuvent cicatriser tout en nous rendant plus forts. J’ai profondément aimé cette idée-là…

J’ai refermé le roman à regret, triste de laisser Ambre, Rosalie et Tim à leurs vies, mais persuadée que le chemin qu’ils ont emprunté est le bon. Soyez heureux. « Finalement, j’ai compris qu’être heureux, ça peut être au contraire choisir de faire table rase du passé, perdre des gens pour prendre le risque d’en rencontrer d’autres. Être heureux, c’est quelque chose qu’on obtient quand on a eu le courage de tout envoyer balader et qu’on a pris le risque de tout recommencer à zéro. »

Je remercie les éditions Albin Michel de leur confiance. 

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