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LE DERNIER CHANT, Sonja Delzongle – Denoël, sortie le 31 mars 2021.

« Le dernier chant » nous emmène en immersion totale au centre de la Terre, reliant les hommes et les animaux par un lien presque mystique, un « hum » que certains entendent, d’autres pas. Ce hum, que Sonja Delzongle a déjà exploité dans le cadre d’une nouvelle pour le recueil « Écouter le noir » qui décryptait l’audition sous toutes ses formes, revient ici en thématique principale dans un roman. Le hum est un phénomène qui possède les caractéristiques d’un son de basse fréquence, obsédant et dérangeant, de source inconnue. Il s’apparente au son d’un moteur diesel, un bourdonnement continu ou sporadique que l’utilisation de bouchons d’oreille par exemple ne bloque pas. 

Dans « Le dernier chant », le hum remonte des entrailles de la terre et touche d’abord les animaux, sur les bords du Saint-Laurent, puis au Congo par l’intermédiaire d’animaux emblématiques, en danger. Sonja Delzongle nous entraîne sur le fleuve, à la rencontre de la baleine à bosse et d’autres cétacés qui meurent de façon inexpliquée. Telle Shipiss, chamane de la réserve, «Celle des âmes connectées à l’invisible et aux secrets de la nature, dont le décryptage et la compréhension demandent humilité et respect.», elle sonne le tocsin d’une planète en perdition. 

« Le dernier chant » est un cri d’alarme, une vocifération envoyée au vent, un gémissement de douleur, un sanglot de désespoir, une complainte adressée aux habitants du monde devenus aveugles au sort infligé à la planète. Si l’auteur nous autorise des voyages romanesques dans des lieux où personnellement je rêve d’aller pour me mettre à l’abri du monde, elle fait appel à notre conscience écologique collective en nous livrant les larmes des animaux. En effet, lors de l’hécatombe animale qui ressemble fortement à une pandémie, les animaux pleurent. Leurs larmes sont des larmes de désespoir. C’est précisément cette idée qui m’a brisé le cœur, comme si, dans cet ultime silence, une clameur effroyable semblable à une alarme retentissait sans que nous puissions véritablement l’entendre qu’avec nos yeux, à travers la contemplation de ces larmes. En même temps que ces larmes, les animaux se retrouvent dans un état de prostration qui amène à la dépression. Cet état, plus proche du suicide que de la mort naturelle fait passer l’idée que les animaux sont les sentinelles du monde, et qu’à travers leurs comportements quasi chamaniques, ils apportent des réponses face à des phénomènes étranges pour qui veut bien les voir, les entendre, les sentir. «Tout gros séisme était précédé de petits. Or, depuis trois ans, les choses se dégradaient dans le monde, aussi bien économiquement que socialement. Les populations semblaient exténuées et la planète, à bout de souffle.»

Vous avez l’idée de base de ce dixième roman de Sonja Delzongle, mais vous vous doutez bien qu’elle a construit une intrigue fil rouge pour exploiter les 470 pages que compte son roman. Autour de son personnage central Shan, virologue basée à Grenoble, jeune femme en reconstruction après avoir vécu plusieurs deuils, l’auteur s’aventure dans le monde de demain et dans ses dérives. Une pointe de nouvelles technologies, une touche de biologie, une abondance de vanité humaine et un trait de sensibilisation par la réflexion font de ce roman un texte qui extériorise des intuitions, des émotions profondes. Sonja Delzongle possède une écriture pulsionnelle, instinctive, complètement viscérale qui surgit des profondeurs. Ce besoin impérieux de dire, «Quelque chose était en route. Quelque chose arrivait, qui allait changer le monde et l’humanité en profondeur. La terre s’en ressentait déjà.», de le crier à la face du monde, d’obliger à certaines interrogations. 

L’introduction des télomères, l’existence de la turritopsis nutricula tout à fait fascinante laissent entrevoir la mégalomanie de l’homme dans toute sa splendeur. Et si l’arme suprême, « le fameux Bruit de Taos » avait un seul et unique dessein ? Si le but ultime était de «maintenir les populations dans un état de soumission, donc de peur permanente et de malaise»?

« Le dernier chant », « d’une planète en souffrance qui nous en retransmet les échos douloureux » ébranle par sa forme et par son fond. L’écriture instinctive, intuitive, presque libératoire surgit pour laisser toute la place aux émotions. Le gouffre des possibles prend alors tout son sens et laisse entrevoir l’intime conviction, le pressentiment oppressant et suffocant que nous sommes au tournant de quelque chose, ce dont je suis intimement persuadée. 

Je remercie les éditions Denoël de leur confiance.

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