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FEMMES EN COLÈRE, Mathieu Menegaux – Grasset, sortie le 3 mars 2021.

«Quand je pense que, dans ce procès, je suis l’accusée et que les deux salopards sont les parties civiles. Je voudrais tout reprendre à zéro. Je voudrais qu’on remette les choses à leur place : je suis la victime et ils sont les bourreaux.»

Ainsi s’exprime Mathilde Collignon divorcée, mère de 2 filles Constance et Julie, médecin gynécologue reconnue et pourtant surnommée « la barbare » dans une cour d’Assises, en ce 25 juin 2020. Incarcérée depuis plus de 3 ans, elle attendait son procès qui s’achève au moment où le roman s’ouvre. Les débats sont terminés, l’heure des délibérations a sonné et avec elle, des questions auxquelles il faudra répondre : Mathilde est-elle coupable d’actes de torture et de barbarie ? Est-elle coupable de violences volontaires ? À quelle peine faut-il la condamner ? Le lecteur navigue entre secrets d’alcôve émanant de la chambre des délibérations et la cellule de Mathilde en attente du verdict qui couche sur le papier ses émotions, ses regrets, son témoignage, elle qui n’a pas eu la sensation d’avoir été entendue.

Mathieu Menegaux choisit de nous raconter deux histoires en parallèle : la vérité de Mathilde et un débat à huis clos entre les jurés. Dans les deux cas, le lecteur écoute aux portes de l’intime et se retrouve avec effarement devant un choix : la raison ou l’émotion, la compassion ou l’insensibilité, le dilemme entre la tentation de l’esprit vengeur et/ou de l’esprit oppresseur. «Alors, que choisirez-vous? Serez-vous des justiciers? Ou serez-vous justes?» Cet effarement ne s’arrête pas à ce choix, il est aussi provoqué par la teneur des propos des hommes et des femmes qui s’affrontent à coup d’arguments et de contre-arguments, les enjeux auxquels est confronté le système judiciaire, l’éternelle inégalité des sexes, les luttes de pouvoir intestines et la vox populi, ce peuple qui a déjà jugé l’affaire sur la place publique des réseaux sociaux. «Mathilde Collignon est plus qu’une accusée, elle est devenue le révélateur de l’état de la société post #MeToo.»

Mathilde est une femme de son temps : libre, indépendante, maîtresse de ses décisions et de ses choix. Dans l’attente du verdict, isolée, elle revient sur les faits. Pour elle, pour ses filles, pour les femmes du monde entier. «Je n’ai jamais écrit, mais je voudrais que ma voix demeure.» Cette parole, tantôt hurlement, tantôt épanchement se doit d’être écoutée pas seulement entendue, car si Mathilde a commis un acte grave, il est essentiel que ce qu’elle a subi soit dévoilé. Mathilde revendique son statut de femme et son droit à disposer de son corps comme elle l’entend et c’est précisément cela qui lui est reproché : elle a donné le bâton pour se faire battre en refusant une vie bien tranquille de mère célibataire dans laquelle les hommes n’auraient qu’une place de « jouet ». Les enfants et un travail prenant devraient suffire à son épanouissement personnel, il n’y a pas de temps pour autre chose, encore moins pour le sexe. «Pourtant c’est clair : avouer aimer le sexe, pour une femme, en 2020, malgré tous les Weinstein, les Polanski et les #MeToo du monde, c’est toujours s’exposer à être considérée comme une putain, une traînée, une salope, une allumeuse et toute la litanie de qualificatifs imagés écrits par les hommes. (…) Mais aimer le sexe, le revendiquer, s’envoyer en l’air avec un parfait inconnu, juste parce qu’il est attirant, ou avec un type qu’on connaît, juste parce qu’on en a envie là tout de suite, pas question de le crier sur les toits.» Devant un tel comportement amoral, la société des « hommes » ne peut que concéder qu’elle a bien cherché ce qui lui est arrivé. 

Qu’a donc fait Mathilde pour retrouver sa vie intime ainsi divulguée sur la place publique, pour être jugée par un système auquel elle n’accordait aucune confiance puisqu’elle s’est vengée elle-même ? Pourquoi n’est-elle pas perçue comme victime en état de légitime défense ? « Femmes en colère » dévoile les failles d’un système, laisse entrevoir le fossé colossal entre l’opinion publique et la réalité judiciaire, témoigne de la chute vertigineuse de perte de confiance de l’individu envers la justice, démontre que comme pour l’avortement, le corps des femmes appartient encore et toujours à l’approbation des hommes, qu’il continue à être jugé par des hommes tellement terrorisés à l’idée qu’on leur enlève ce petit pouvoir si chèrement acquis. Peu importe les outrages subis par le corps des femmes, «Nous devons être capables de faire abstraction de l’émotion pour vivre en société. L’émotion et la justice ne font pas bon ménage…» Comment ne pas être révoltée par les préoccupations des hommes comme celle du président de la cour d’assises, Clément Largeron qui pense d’abord à son image, à la trace qu’il va laisser dans les annales judiciaires et la peur panique qui l’habite à l’idée de «l’inscription de la vengeance comme légitime défense»?

Mathieu Menegaux a le don de frapper là où ça fait mal. Dans chacun de ses livres, il questionne, argumente, raisonne et nous oblige à voir les deux faces d’une même pièce, il nous montre que l’homme est capable du meilleur comme du pire, mais que le pire arrive rarement sans cause. L’analyse de ces causes est indispensable pour comprendre l’acte. Il interroge un système, une société où l’émotion serait sommée d’être complètement séparée de la raison. Il nous fait réfléchir sur le pouvoir des médias, des réseaux sociaux, de cette justice qui s’étend bien au-delà des grilles d’un tribunal. Il va jusqu’à méditer sur ce «grand théâtre judiciaire» si éloigné de l’opinion générale qui ne parvient plus à comprendre les sanctions prises. Et surtout, il œuvre pour que «la peur change de camp» en prenant le parti des femmes, celles qu’on n’a pas écoutées, celles qui souffrent et crèvent en silence, celles qui réagissent et se battent, celles dont la voix est étouffée par le sexe opposé qui pense détenir la vérité absolue. 

Alors oui, « Femmes en colère » se lit en apnée et se finit en position latérale de sécurité. Parce qu’aujourd’hui encore, être une femme est synonyme de luttes, que la soi-disant égalité des sexes n’est qu’une illusion mielleuse pour mieux nous endormir et que chaque jour, nous constatons que nous devons nous battre deux fois plus que les hommes pour obtenir gain de cause. Il vous appartient maintenant de juger Mathilde, de prendre la place des jurés et de découvrir son histoire et de répondre à cette question : sommes-nous réellement capables du pire ?

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