Aude Bouquine

Blog littéraire

« Une gifle » narre la rencontre entre deux êtres fracassés par leur enfance et met l’accent sur la façon dont ils « poussent » avec ce terrible héritage, un marquage au fer rouge, un tatouage indélébile incrusté sous leurs peaux. Dans la rencontre de ces deux adultes, les dégâts inhérents à leurs blessures d’enfance ne se voient pas, ne s’imaginent pas. Antoine est un enfant méprisé par son père qui ne lui accorde que peu d’attentions. L’humiliation verbale est son moyen de communication, rabaisser par les mots ou les regards, son mantra. «Mon père, ce tyran domestique, ce gueulard silencieux. J’aimerais faire quelque chose, laisser quelque chose, l’impressionner. Ce serait tellement bon qu’il m’aime.»

« Elle » a vécu sous les attaques physiques permanentes et soudaines de sa mère. Jamais elle ne savait quand la gifle allait tomber, ni pourquoi. La gifle est devenue un moyen de communication qui manifeste une désapprobation d’adulte. « Elle » a donc trouvé un moyen de survivre «se laisser couler dans le silence», se taire en faisant voyager son esprit vers des cieux plus cléments.

« Une gifle » est un récit en trois parties : la première nous plonge dans le passé de chaque protagoniste, de l’enfance à l’adolescence jusqu’aux jeunes années d’adulte. Antoine se perd dans l’alcool et les drogues, les boîtes de nuit, la musique tellement forte qu’elle empêche au cerveau de penser. « Elle », toujours aussi silencieuse, presque mutique, rase les murs et lorsqu’elle rencontre un homme, ce n’est jamais le bon… La seconde partie explore leur rencontre, les premières fois, les projets communs, le bonheur d’être deux et la certitude que ces deux accidentés de l’enfance peuvent construire ensemble les fondations d’une maison saine. Le lecteur les suit, la boule au ventre. Les voix s’entrechoquent. Tantôt c’est celle d’Antoine, tantôt sa voix à « Elle », mais aussi la voix de Mio son fils à « Elle ». C’est sans doute cette voix-là qui éclaire la relation et met l’accent sur les murs qui craquellent lentement et les masques qui tombent. « S’il fait semblant avec moi, il peut le faire avec maman aussi. » Je vous laisse découvrir seuls la troisième partie…

« Une gifle » est un roman dérangeant et suffocant parce qu’il soulève de vraies interrogations. Marie Simon remonte aux origines du mal en posant finalement une question fondamentale : deux âmes démolies par une enfance pathogène peuvent-elles se guérir ensemble ? Elle creuse, fouille, scrute, déterre, dissèque les émotions pour mieux se déchaîner sur les actes de la vie de couple qui ne résultent que de réactions qui semblent s’être greffées sur leur ADN. «Est-ce que je ressemble à mon père? Est-ce que j’ai envie de ressembler toute ma vie à l’adolescent que j’ai été? Je me sens comme une merde, et c’est comme s’il avait gagné. Je ne me suis pas aperçu du poids que c’était. Comme si on m’appuyait sur la tête de toutes ses forces pendant que je suis entrain de grandir. Comme si on me tenait la tête sous l’eau. (….)Toutes ces phrases, ces éclats de violence qui viennent de lui, qui me viennent de lui, qui sont restés plantés en moi comme des échardes sans qu’on ne me les retire. J’ai peur qu’elles restent sous ma peau, tout le temps. J’ai peur qu’elles repoussent. Est-ce que je serai toujours la victime de ça ou est-ce que je deviendrai le bourreau, encore et encore?»

Une question essentielle est affichée sur le bandeau « Peut-on échapper à son enfance ? » Vous vous ferez votre propre idée, j’ai la mienne. Ce qui m’apparaît essentiel est de ne pas vouloir l’enterrer, de l’avoir toujours en tête, bien présente afin de pouvoir analyser les paroles et les gestes chaque jour, et de recommencer chaque lendemain à décrypter la moindre des réactions. « Le silence sur le secret de l’autre, qu’on devine aussi. Mais c’est un faible prix à payer pour être ensemble, non ? C’est un pari, ils le font sans négocier. »

 La façon dont Marie Simon traite le sujet en apposant un être qui ne se remet pas en question et un autre qui a fixé les limites de ce qui est acceptable me semple le moyen le plus pertinent pour appliquer « C’est le plus important, elle dit, de se respecter et de se faire respecter. » Cette mise en perspective de deux personnages totalement opposés dans leurs manières d’appréhender le futur et de gérer leurs passés est la clé de voûte du roman. « Évidemment, ils n’entendent pas leurs passés respectifs puisque tout vient de commencer. Elle en vient même à oublier son passé, ce qu’elle possède aujourd’hui surpasse tout. »

La fin du roman m’amène à poser une dernière question : l’amour est-il toujours suffisant pour ne pas reproduire ? Pour guérir de son enfance ? Avec une acuité troublante, Marie Simon démontre que les écorchés vifs s’attirent, mais qu’ensemble, ils doivent affronter plus de difficultés qu’un couple lambda. Les plaies restées béantes, les entailles dans la confiance en soi, les brûlures de la mémoire, la mémoire des corps sont responsables de traumatismes impossibles à effacer. Les affronter reste encore la meilleure solution. 

9 réflexions sur “UNE GIFLE, Marie Simon – Éditions Autrement, sortie le 20 janvier 2021.

  1. Magnifique chronique qui me fend déjà le coeur, et qui me parle tellement. Je ne suis pas persuadée d’avoir le courage de le lire. Pour ma part je préfère laisser les choses enfouies, regarder devant. Je sais que j’ai travaillé à être une meilleure personne, à m’interroger sur chaque acte, à ne pas reproduire.
    Bref je ne vais pas m’étaler mais j’ai toujours une cicatrice mais aussi une force qui fait que je suis une mère imparfaite mais plein d’amour pour mes oisillons.

  2. Aude Bouquine dit :

    La cicatrice ne se referme jamais… pas un jour ne passe sans que j’y pense et que je m’interroge si j’agis correctement vis à vis de mes filles. Je suis toujours autant en colère. Je n’ai rien oublié et je ne pardonne pas, ni à mon père qui a fait, ni à ma mère qui a laissé faire. Ma seule mission c’est d’éduquer mes filles et de faire en sorte qu’elles ne vivent jamais ça adultes. Je t’embrasse 😘

  3. Anonyme dit :

    Ta chronique est magnifique et donne envie de lire ce livre mais je ne le lirai pas. La cicatrice ne fait que s’ouvrir, se refermer, s’ouvrir, se refermer, au gré des évènements de ma vie. Je ne suis pas assez forte pour « affronter » de nouveau. J’essaie, tout comme Evasion Polar dont j’ignore le prénom, d’avancer et de faire au mieux tout en pardonnant à celle qui m’a offensée et qui a fait que tant d’autres, ensuite, m’ont offensée puisqu’il me semblait que c’était normal. Que je ne valais rien à part prendre des coups ou entendre des violences verbales. Bisous Aude et merci

  4. Yvan dit :

    Éprouvante lecture, je n’en doute pas…
    J’espère qu’elle t’a apporté un éclairage utile

  5. Aude Bouquine dit :

    Je comprends…. pendant des années, j’ai refusé de voir et puis un jour, pourquoi je ne sais pas, j’ai parlé à mes filles. J’ai tout dit. J’ai témoigné dans une émission radio, sur un coup de tête, sans imaginer une seule seconde qu’on me contacterai. Ça m’a fait un bien fou.
    Bon courage à toi, je t’embrasse 😘

  6. Aude Bouquine dit :

    Toi tu sais… je suis toujours à la recherche de clés… elles sont semées ici ou là, au gré des rencontres. Il suffit de les trouver.

  7. Yvan dit :

    Peut-on expliquer l’inqualifiable ?
    Vous avez 4h

  8. Ton interrogation finale me semble bien légitime…

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