Aude Bouquine

Blog littéraire

Vendredi 7 juillet 2017, Camille se réveille en Espagne avec une migraine si atroce qu’elle a l’impression qu’un cirque tout entier joue dans sa tête. Samedi 8 juillet, elle se rend aux urgences, elle y voit à peine, ne peut plus se servir de son téléphone portable : elle est renvoyée chez elle avec du paracétamol. Dimanche 9 juillet, Camille retourne aux urgences pour « Que l’on agisse pour que la douleur s’arrête.(…) Et que cesse, par-dessus tout, ce terrible sentiment d’être perdue à l’intérieur de moi-même.» Scanner, IRM, le verdict tombe : Camille fait une hémorragie cérébrale. Elle a 23 ans. Camille doit affronter sa propre incompréhension face à ce terrible diagnostic, pourquoi son corps la lâche-t-il ? puis sa panique, va-t-elle mourir ? et enfin sa culpabilité, comment épargner la peur à son entourage ?

Camille lit d’autres témoignages, elle se renseigne sur sa « maladie », elle essaie de garder espoir même si, au fond, elle panique. Pour ce faire, elle utilisera toutes les formes d’art pour réveiller son cerveau, le stimuler, l’aider à réfléchir, à analyser, à pulser. Le lecteur vibre au gré de ces coups de jus envoyés à cet organe qui doit absolument repartir : les mots d’Hervé Guibert, une chanson de Charlotte Gainsbourg, le roman de Maylis de Kerangal ou celui de Baptiste Beaulieu, des photographies de New York… Cet éveil, ce nouveau réveil à la vie par l’art est entrecoupé de réflexions, de méditations, de rêveries, mais aussi de banalités mensongères du quotidien « Tu as l’air en forme » alors qu’elle a véritablement une tête de déterrée…

«Comme on fait un déni de grossesse, je fais un déni de maladie, je nie les effets de cette malformation congénitale non désirée, immaculée conception d’une malformation venue éclore dans mon cerveau. Comment renouer avec un corps qui vous a trahi?»

Car c’est bien là toute la difficulté… Comme pour un deuil, Camille va devoir passer par différentes phases : déni, colère, tristesse, acceptation, reconstruction. Entre dépistages et résultats d’examen, le lecteur se promène dans son cerveau, vit, et l’assiste dans ce projet encore virtuel d’écriture qui « invite au récit. », de poèmes en définitions, de mots aux images, de visites à l’hôpital en opérations chirurgicales, Camille livre tout, sans détour, sans pathos : des médecins qui ne lui parlent pas, mais s’adressent à son accompagnant, aux lettres cachetées qu’elle transporte d’un spécialiste à l’autre. Et toujours cette angoisse sourde «Deviendrai-je obsolète? Et surtout, m’en rendrai-je compte?»

Cette autofiction décortique un temps durant lequel Camille est vulnérable, fragile, loin d’elle-même, détachée de ce « Soi » avec lequel elle a toujours vécu. Elle doit se réinventer, se renouveler, se dépasser. De cet incident improbable, inimaginable naît une ouverture sur le monde, ce monde que l’on a coutume d’appeler aujourd’hui « non essentiel ». Or c’est bien la culture et l’art qui la sauvent, de ces univers qu’elle tire la substantifique moelle du renouveau, une renaissance qui prend forme, une belle et solide résurrection. Ne pensez pas que ce récit soit larmoyant, bien au contraire. Il est factuel, il est même parfois drôle. Lorsque Camille Reynaud publie les notices des médicaments censés la soigner et les listes de tous leurs effets secondaires possibles, le lecteur rit jaune. On frôle parfois le comique de situation si la réalité n’était pas si dramatique. J’ai aimé l’authenticité des propos, la parole vraie, comme d’expliquer que depuis son AVC son entourage prend plus au sérieux les petites alertes de santé comme les maux de tête et semble plus enclin à passer des tests. Enfin, elle développe un aspect qui n’est pas tout à fait « politiquement correct » : le tourisme médical. Oui, nous ne sommes pas tous égaux devant les coûts de santé. Pour avoir vécu aux États-Unis, j’en sais quelque chose… Camille Reynaud révèle les coûts des soins de sa maladie et compare différents systèmes de santé pour que nous apprenions à aimer le nôtre au lieu de le critiquer sans cesse. «Depuis l’été 2017, mon père ne cesse de répéter à ceux qui se plaignent du montant des cotisations sociales que lui est bien heureux d’avoir cotisé toute sa vie pour sauver celle de son enfant.»

Ce récit intime joue avec différents registres qui mettent en lumière le corps qui lâche. Camille Reynaud raconte son chemin du choc à la résilience, passage nécessaire pour faire la paix avec elle-même. Un parcours de vie narré avec sobriété et vérité. Une formidable leçon de vie. 

Camille, je te souhaite d’être heureuse.

2 réflexions sur “ET PAR ENDROITS ÇA FAIT DES NOEUDS, Camille Reynaud – Éditions Autrement, sortie le 13 janvier 2021.

  1. Yvan dit :

    Ce genre de livre, pourtant important, me fait très peur. Le genre de lecture que je n’ose pas entamer.
    La vraie fiction, même dure, est une barrière de protection

  2. Aude Bouquine dit :

    Elle le raconte si bien que le drame s’efface pour laisse place à autre chose. Un nouveau monde s’ouvre : celui des arts. Et ça, c’est assez magique….

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