Aude Bouquine

Blog littéraire

« Brasier Noir » est le premier tome d’une trilogie mettant en scène Penn Cage, ancien procureur et aujourd’hui maire de Natchez, état du Mississippi dans le récit. Tom Cage, son père, médecin, est accusé d’avoir tué Viola Turner, son ancienne infirmière. Celle-ci avait quitté la région depuis plusieurs années à la suite d’évènements tragiques. Elle y revient chercher une forme de paix et y meurt. Tom Cage, rongé par un passé dont il ne souhaite pas parler, se mure dans le silence. Pour organiser sa défense, son fils, Penn devra se replonger dans les années 60, là où tout a commencé, dans cette région où la ségrégation a fait rage. Les suprémacistes blancs, tous membres du KKK y faisaient leur cuisine interne, se débarrassaient des fauteurs de trouble et surtout de ceux qui ne respectaient pas les règles : un homme noir ne pouvait pas fréquenter une femme blanche et inversement. Le mélange des races constituait une forme de crime nécessitant un châtiment divin. Les opposants étaient punis, ceux qui savaient et s’étaient tus aussi. Le lecteur oscille entre les évènements tragiques de la période 1964-1968 et 2005 où les pratiques du docteur Cage sont disséquées et sa probité sévèrement remise en cause.

Mille cinquante pages pour planter le décor. Mille cinquante pages pour asseoir des personnages forts. Mille cinquante pages de révélations, de secrets, de pratiques abjectes, de plongée dans l’histoire américaine où noirs et blancs vivent les uns à côté des autres sans pour autant vivre ensemble, où les dénonciations, la peur, la vengeance, la cruauté font partie intégrante d’un abject quotidien. Une ville du sud où les blancs font loi, où les relations entre les hommes se définissent par la couleur de peau et où chaque action, chaque mot de travers a de regrettables conséquences.

L’atmosphère poisseuse de cette région du Mississippi fait partie intégrante des personnages …. C’est dans ce décor que naissent les aigles bicéphales en 1964, une branche plus radicale, plus sadique et plus sanguinaire que celle du Ku Klux Klan : ils découpent, noient, brûlent au lance-flamme, écorchent vif, étripent, émasculent. Des poètes charismatiques en somme dont l’imagination prolixe bouillonne aux pulsations de leurs haines.

Grâce à une écriture hyper réaliste, Greg Iles nous fait ressentir, au plus près des hommes et des drames, l’ambiance de cette époque où le maître mot semble être « sauver sa peau ». Pour se faire, mentir, cacher, se cacher semblent être les seules solutions possibles. C’est donc au rythme des secrets et des révélations que le lecteur avance dans les pas du journaliste Henri Sexton et des découvertes de Penn confronté au silence de son père qui ne veut/peut pas se défendre. Si ce roman aborde une période de l’histoire américaine dont nous connaissons tous les tenants et les aboutissants, sa colonne vertébrale s’articule surtout autour de l’héritage et de la transmission : en 2005, le lecteur est confronté aux fils de…Tous les protagonistes de 1964, devenus pour la plupart de riches notables ont une descendance élevée selon des règles précises, dans un univers systématiquement déterminé par les opinions et actes de leurs parents. L’héritage familial, la transmission de la bienveillance ou de la haine, des valeurs humaines ou au contraire d’une répugnance absolue pour la différence rendent ce roman réellement passionnant. Greg Iles ajoute à cette fresque historique, la révélation de secrets à la fois sur des évènements passés, mais aussi sur des incidents du présent. Ceci engendre une remise en question profonde et violente des protagonistes sur leurs convictions personnelles, rend les choses qu’ils croyaient immuables terriblement précaires. Les certitudes s’effondrent, la foi vacille, la confiance est bousculée.

Greg Iles est né en Allemagne en 1960. Sa famille déménage aux États-Unis, Mississippi en 1963 où elle s’installe à Natchez. Après des études de médecine, il est finalement diplômé en anglais, mais sa réelle passion est la musique. Il a joué de la guitare dans un groupe durant de nombreuses années. Ceci explique sans doute son sens du rythme dans son écriture, et cette musicalité singulière de son phrasé. Mille cinquante pages sans aucun temps mort, sans longueur, sans ennui. « Brasier noir » est un roman d’une intensité viscérale, d’une profondeur instinctive que seuls ceux qui ont vécu dans la région qu’ils décrivent peuvent retranscrire, d’une puissance quasi tripale. Une attention toute particulière est apportée aux personnages, riches de leurs héritages et de leurs valeurs, à la retranscription d’une époque, à l’atmosphère, aux idées véhiculées alors, et aux problématiques de deux époques. Autant sur la forme que sur le fond, « Brasier Noir » est un roman magistral, un page turner redoutable et addictif, une plongée prodigieuse vers un autre temps, d’autres lieux et d’autres conventions. Mille cinquante pages que vous ne verrez pas passer, tant l’immersion est totale et sans réserve. 

Rassurez-vous, l’aventure continue avec « L’arbre aux morts » (976 pages) et « Le sang du Mississippi » (896 pages). Autant vous dire qu’ils sont déjà dans ma bibliothèque ! 

7 réflexions sur “BRASIER NOIR, Greg Iles – Sortie 2 mai 2018, Actes Sud

  1. Yvan dit :

    Devant cet enthousiasme, c’est noté quand j’aurai un “petit” creux, un jour 😉

    1. Aude Bouquine dit :

      Va falloir plus qu’un « petit creux » 😉

      1. Yvan dit :

        Tout est relatif 😉

  2. Sandrine V. dit :

    Il est sur ma wish list et si je ne venait pas de craquer sévèrement, 27 livres en 3 jours, je crois que j’aurai cliquer pour le rajouter dans ma PAL 😊 ce sera pour l’année prochaine😂

      1. Sandrine V. dit :

        cliqué. Pardon 😴 voilà ce que ça donne le téléphone et l’absence de relecture 🤭

    1. Aude Bouquine dit :

      J’ai fait du stock aussi et demandé QUE des livres pour Noël 😂

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