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LES JOURS BRÛLANTS, Laurence Peyrin – Calmann-Lévy, sortie le 27 mai 2020.

Comprendre les raisons profondes qui poussent ceux qui disparaissent volontairement après un traumatisme. Tel était le vœu de Laurence Peyrin en écrivant « Les Jours brûlants. » Joanne Linaker est « la joie de vivre incarnée ». 1976, mariée avec Thomas, mère de deux enfants, elle vit à Modesto, petite ville dans laquelle il ne se passe pas grand-chose. Sa vie est bourgeoise, simple, minutée, rythmée par les soirées données par son époux dans lesquelles elle apparaît être « la reine de cocktails » en plus d’être une maîtresse de maison parfaite. Joanne est parfaite, « d’un bonheur simple, elle se faisait toute une fête. » Son quotidien semble idyllique, proche d’une certaine ataraxie.

Jusqu’au jour où, un événement traumatique va venir chambouler ce « bonheur inestimable de vivre au présent. ». Une agression dans un chemin de traverse. Un « ton sac, connasse » lancé lors de la chute du vélo, un œil au beurre noir, un choc crânien. Celle qui « n’avait jamais expérimenté la violence ni verbale ni physique », celle qui était « la reine des cocktails » et l’épouse irréprochable commencent à se métamorphoser en quelqu’un d’autre… Une femme qui ne se ressemble plus, ne fait plus la cuisine, se fout que l’espace familial s’écroule, se met à piquer les chariots de courses des autres clientes dans les supermarchés comme une « brève possibilité d’être une autre femme que cette connasse et espèce de sale pute au visage défait… »

Le fameux bonheur conjugal de plus de 20 ans explose, les échanges sont plus mordants, les répliques plus cinglantes et les sous-entendus explicites. La graine de la révolte ménagère grandit. Elle se teint les cheveux en roux, ne demande l’avis de personne et surtout pas celui de son mari, refuse cette « colonisation » d’elle-même. Techniquement « Joanne Linaker, la connasse du chemin de traverse, n’avait aucune séquelle de son traumatisme crânien. » Si l’extérieur cicatrice, l’intérieur s’écroule, le vent se lève, la tempête est proche… pour ne pas dire l’arrivée d’un imprévisible tsunami. Son chirurgien de mari qui sait si bien réparer les gens, ne sait pas la réparer, elle. Lors d’une ultime imprudence, et de phrases assassines de son mari, Joanne décide de partir : direction Vegas !

Dites-moi, les mères de famille modèles, copies de Bree Van De Kamp, reines du shaker et de la popote parfaite déposée avec un grand sourire sur la belle table familiale tous les soirs, laquelle d’entre vous peut se targuer de n’avoir jamais eu envie de se barrer ? Disparaître ? Coller sa petite valise dans le coffre de la voiture et mettre les voiles sur un fond de « Highway to Hell « ? À force de s’auto seriner n’être devenue qu’un « poison dans son propre foyer », la tentation n’est-elle pas immense de faire disparaître la « mère joyeusement sacrificielle » pour redevenir une femme ? Le bonheur conjugal est-il une forme d’asservissement ? Est-il indispensable de renouer avec une certaine idée de l’adolescente qu’on était ? C’est tout le propos de ce livre. 

À force de n’être présente que pour les autres, on finit pas s’oublier soi-même. Nos enfants, quelquefois fois bien cruels nous rappellent nos propres failles comme cette remarque de la fille de Joanne qui pourtant n’a l’air de rien, mais met en lumière toute la simplicité malsaine de n’être que ça…. une simple épouse  : « Partout en Amérique les femmes se battent pour l’égalité et toi tu t’excites à la simple idée de servir des cocktails à des types en retard d’un siècle et à leurs simples épouses. »

Ce n’est pas tant la violence du choc qu’il est important de voir ici, certains pourront même le trouver dérisoire, c’est la déflagration verbale qui engendre l’explosion émotionnelle qu’il faut percevoir. La tentative désespérée du mari qui prononce les dernières phases inopportunes sonne le glas d’une volonté de disparaître pour d’abord protéger les autres. Sous ce couvert-là, c’est aussi la volonté de se découvrir soi-même que Laurence Peyrin nous raconte avec sourires, émotion et enthousiasme.

Il n’est pas toujours facile d’être mère, encore moins de se sentir reconnue dans cette fonction souvent ingrate et inique. Parfois, partir est le seul choix. Partir ou prendre la fuite, choisissez le mot qui vous sied le mieux, mais partir ça veut dire, avant tout, se donner la chance de se retrouver soi-même. Laurence Peyrin nous le montre très justement en narrant le chemin psychologique de Joanne, qui comme dans une thérapie, revient à la surface par l’exécution d’actions répétitives, une sorte de cure de désintoxication du quotidien. L’auteur embarque le lecteur dans ce voyage où la reconquête de soi devient vitale, au sens premier du terme. Puis elle nous entraîne sur le chemin de la reconstruction et mettant en lumière que les solutions sont finalement en chacune d’entre nous. 

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai bien envie de me mettre « en récréation de moi-même », particulièrement en ce moment où « l’hémisphère droit de (mon) cerveau — celui des émotions. » travaille à plein régime. J’aspire à cette paix intérieure, à l’envie de laisser tomber toute responsabilité pour enfin penser à moi. Vous savez que je ne crois jamais au hasard des livres qui me tombent sous la main. Il semblerait, après le quatrième ouvrage lu cette année et traitant de disparition volontaire, que l’univers ait vraiment décidé de me transmettre un message… 

Si ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas, ce qui se passe dans ce roman ne demande qu’à en sortir… De beaux portraits de femmes vous y attendent ainsi qu’une formidable histoire de renaissance. 

#Lesjoursbrûlants #NetGalleyFrance

 

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