Aude Bouquine

Blog littéraire

« Je regarde le lac noir. Il n’y a plus un bruit autour de nous. Juste le clapotis de l’eau sur les rochers du rivage, quelques bourrasques de vent qui viennent faire frissonner les feuilles des arbres. Le lac, si avide, est-il enfin rassasié ? » Le cadavre de Clara Miller est remonté du lac aux suicidés, comme ceux de plusieurs autres femmes. Ce lac, situé près de la demeure de Mike Stilth, star adulée, idole incontestée, conduit Paul Green, journaliste au « Globe » à mener l’enquête. Pour cela, il lui faudra déterrer les secrets de la star, tenter de pénétrer la forteresse qui lui sert de domicile, approcher ses enfants, son staff, la redoutable Joan Harlow et ses gardes du corps. Que cache le magnétique Mike Stilth ? Quelles sont ses blessures ? Pourquoi garde-t-il Noah et Éva prisonniers des murs de Lost Lakes ? Olivier Bal nous entraîne dans les limbes du star système et du journalisme putassier.

La construction du roman imaginée par Olivier Bal fonctionne diablement bien : il a choisi le roman choral qui est une construction que personnellement j’adore. Chaque protagoniste y fait entendre sa voix et chacun dit « Je ». Le lecteur est donc parachuté dans sa tête, dans sa vie, mais aussi dans ses tribulations ou ses réflexions. Son intrigue est située dans le New Hampshire que j’ai eu la chance de visiter, mais aussi à Los Angeles pour toute la partie star-system, course aux étoiles. Je ne sais pas ce qu’Olivier Bal a comme expérience de la vie aux États-Unis, mais je peux vous dire que j’ai souvent adhéré aux propos et que les paillettes et les comportements californiens décrits sont d’une justesse qui va vous faire sourire. La double temporalité qu’il a choisi d’exploiter, les années 90 puis les années 2000, fait naître une tension qui monte crescendo. C’est le second procédé littéraire qui a toutes mes faveurs. Autant dire qu’en un seul livre, l’auteur a su m’attirer dans ses filets.

Sauf que… Je n’avais pas encore appréhendé l’étendue de ce qui m’attendait… S’il laisse tomber pour un temps au moins le fantastique de ses récits précédents pour s’accrocher à la glaise de la réalité, il choisit surtout de construire son intrigue autour de personnages emblématiques. Paul Green, journaliste dans un torchon de presse à scandale, Mike Stilth la star au sommet de sa popularité, Joan la femme aux dents longues, et deux enfants victimes collatérales en devenir.

Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ressentir autant d’empathie ni autant d’émotions pour TOUS les personnages qui hantent ce roman… Olivier Bal a fait un remarquable travail de psychologie pour décrire à la perfection les pensées d’abord, mais aussi les traumas de ses protagonistes et ainsi construire leurs histoires en devenir. C’est bien simple, vous ne pourrez pas ne pas les aimer. Par leurs intermédiaires, il a su créer chez moi une forme d’envoûtement littéraire, comme une sorte de maraboutage, dès les premières pages, tant et si bien qu’au fond, l’intrigue de base est passée au second plan. (cela a été mon cas, cela ne sera peut-être pas le vôtre) Je ne sais pas si cela était sa volonté, mais la force de ces personnages m’a véritablement subjuguée. Cette entrée progressive dans deux univers singuliers, la presse et la notoriété emprisonne le lecteur dans les âmes des acteurs du roman.

Par ce biais, et c’est tout à son honneur puisque c’est fait de manière talentueuse, Olivier Bal aborde des thématiques à la fois proches de nos propres préoccupations, mais aussi plus lointaines, donc un peu plus philosophiques. Ne fuyez pas surtout, nous sommes bien dans un thriller pur et dur, ancré dans des réalités qu’elles soient comparables aux nôtres ou éloignées. Ainsi, le succès, la gloire, l’argent, la reconnaissance de ses pairs rend-il heureux ? Les foules en délire, les fans féminines qui se pâment ou tombent dans les pommes peuvent-elles effacer les manques d’affection de l’enfance, les traumas subsistants, le déficit de bienveillance ? L’argent permet-il la liberté ? Justifie-t-il l’enfermement dans le but de protéger ceux qu’on aime ? D’ailleurs, qu’est-ce dont ce concept de liberté ? C’est quoi la « vraie » liberté ? Tout cela est développé par Olivier Bal rien qu’en évoquant le personnage de Mike. Il utilise la même technique à travers le journaliste Paul Green. « Ce qui intéresse Kelton, ce n’est pas l’information elle-même ni sa véracité, non… Ce qu’il souhaite, lui, ce sont des révélations ! Faire frétiller le cœur des centaines de milliers de lecteurs du Globe qui, à la lecture de ce ramassis d’ordures, se disent que, finalement, leur vie misérable n’est pas si mal. » Le journalisme qui fouille dans les poubelles, qui harcèle, toujours à recherche du scoop en se fichant complètement du mal que cela pourrait engendrer sur la personne concernée. Mais là aussi, l’auteur ne s’arrête pas à ce simple constat, il réserve à Paul un autre destin que celui qu’il s’était lui-même imaginé.

« L’affaire Clara Miller » est une photographie précise d’une époque, une belle façon « d’attraper le brouillard du passé » en se plongeant dans les mystères de Lost Lakes, de ce lac imprégné de secrets, de ces vies singulières qui finissent par vous obnubiler. Olivier Bal signe ici un roman hypnotique, mais tellement stimulant qu’il en devient impossible à lâcher. J’ai envie de le citer encore une fois : « La mort, c’est une fin. On s’éteint, notre corps n’est plus là, mais notre âme, elle, reste autour des gens qu’on aime. Je pense qu’on vit toujours un peu, tant que les gens se souviennent de nous… » Un sentiment un peu identique lorsque l’on quitte ses personnages…

Je remercie les éditions XO de leur confiance.

9 réflexions sur “L’AFFAIRE CLARA MILLER, Olivier Bal – XO éditions, sortie le 12 mars 2020.

  1. Matatoune dit :

    Je l’ai dans ma PAL …Hâte . Merci

  2. Aude Bouquine dit :

    Il est génial !!

  3. Yvan dit :

    Tu as raison, c’est de plus en plus rare de voir un tel travail sur les personnages. Et quel boulot ! En matière d’empathie, c’est exceptionnel !

  4. Aude Bouquine dit :

    Je suis heureuse de voir que tu es de mon avis. Ça faisait longtemps que je n’avais pas quitté des personnages à regret et refermer un livre avec autant de nostalgie !

  5. Aude Bouquine dit :

    C’est un livre exceptionnel !

  6. martinemartin85 dit :

    Vous donnez vraiment envie de le lire et en plus j’aime, comme vous, les romans de styles choral et temporel avec une analyse psychologique fine. Merci beaucoup pour cette excellente critique.

  7. Aude Bouquine dit :

    Merci Martine et bonne lecture ! Il est excellent 👌🏻

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