Aude Bouquine

Blog littéraire

Jeanne Mercier est dans le coma depuis plus de 4 ans, suite à un accident de voiture. Depuis, la vie de sa famille est en suspens. Gilbert, le père se noie dans son travail, cache ses émotions derrière une poigne de fer et des propos souvent acerbes. Micheline, la mère, plus effacée que jamais, passe tout son temps libre auprès de sa fille en espérant un miracle. Charlotte, sa sœur gère un restaurant avec son compagnon profondément tyrannique. Jérôme son mari, comédien de métier tente de garder la tête hors de l’eau et d’oublier sa culpabilité. Autour de Jeanne, le temps s’est arrêté. Alors, quand le docteur Goossens demande à voir la famille, tous redoutent le verdict : il est temps de débrancher Jeanne et de la laisser partir…. Sauf que… la nouvelle que va leur annoncer le médecin n’est pas tout à fait celle attendue.

Qu’il est doux, paisible et serein de se plonger dans un roman de Barbara Abel ! Luxe, calme et volupté. Que des bons sentiments, des personnages lisses et humainement irréprochables. Une intrigue qui fait du bien à l’âme et repose le cerveau des mauvaises nouvelles ambiantes. Mes propos vous surprennent ? Vous avez bien raison !! Préparez-vous au choc de ce roman qui va vous mettre les tripes à l’air, et vous obliger à vous poser mille et une questions sur ce que vous voudriez pour votre propre fin de vie.

« Et les vivants autour » est clairement le roman le plus abouti de Barbara Abel sur une thématique oh combien douloureuse : le coma et la fin de vie. Le sujet n’est pas gai, mais ce qui l’est encore moins, c’est le déchirement et la guerre sans merci que se livrent les membres d’une même famille. Barbara Abel pose les jalons en tout début de roman en détaillant la psychologie de ses personnages. Le lecteur a donc une idée très précise de la personnalité de chacun, et fait alors des pronostics sur la suite. Sauf que, la terrible nouvelle change la donne et va immanquablement modifier les forces en présence et les tempéraments. L’évolution des personnages est exceptionnelle de justesse, et c’est sans aucun mal que l’on peut se glisser dans la peau de chacun, émettre une opinion, voir un jugement, sur leurs actions. J’aurai titré « Et les vivants autour ? » comment s’en sortent-ils face au coma de Jeanne ? Ils se révèlent, ils font tomber les masques, et c’est avec stupéfaction que le lecteur découvre leurs véritables visages. Un vrai travail d’orfèvrerie dont Barbara Abel s’acquitte fort bien.

Dans la gestion de cette thématique familiale, elle ose tous les sujets susceptibles de créer des remous. Non seulement elle ose, mais elle explore les questions en profondeur. Elle farfouille, elle creuse, elle « remue la merde » pour aller jusqu’à l’explosion. C’est extrêmement dense, condensé, souvent lapidaire et sans mansuétude. Pourquoi ? Parce que c’est tangible ! J’ai adoré la façon dont elle transforme petit à petit ses personnages a priori sans aspérité en véritables ogres, monstres inhumains sans pitié, mais aussi en victimes collatérales ou en victimes désignées. Elle explore toutes les relations : mère-fille, père-fille, la préférence d’un parent pour un enfant, la relation entre époux sous différents angles et à travers différents exemples.

Le coma est évidemment la grande thématique de ce roman. Il faut « considérer de manière objective ce qu’il y a de mieux pour elle », mais également poser de vraies questions « Pour qui veux-tu la maintenir en vie ? Pour elle ou pour toi ? », et même aller plus loin dans la réflexion « Outre que l’idée de perdre sa fille lui est inconcevable, la débrancher signifie pour elle perdre son emploi, son statut, son rôle. Sa raison d’être. » La force de frappe de Barbara Abel ne laisse rien au hasard, chaque faille est exploitée, chaque détail a sa raison d’être. Les secrets sont révélés au moment opportun, les apparences s’émiettent, les mensonges lentement se dévoilent. Le lecteur se retrouve embarqué dans un tourbillon de questionnements et de cartes rebattues quand il prend conscience du côté malveillant de certains personnages. Il est alors trop tard pour faire machine arrière, l’auteur vous a déjà pris dans ses filets et vous emmène au fond de l’âme humaine soumise à des décisions cruciales.

Pendant que Jeanne dort, et les vivants autour, ils font quoi ? Ils se livrent une guerre sans merci à coup de règlements de compte. L’enfer n’est pas toujours là où l’on croit… et la fin que propose Barbara Abel m’a laissée angoissée, troublée, un peu fiévreuse : un enfer pavé de bonnes intentions. Pour moi, ce roman est une vraie grande et belle réussite, de par sa justesse dans les réflexions proposées, sa précision dans la psychologie des personnages, son intrigue qui telle un rouleau compresseur fonce sur vous implacablement. Barbara Abel signe là un livre anxiogène au possible, intelligent, et questionnant. Je ne peux que vous encourager à vous jeter dessus.

Je remercie les éditions Belfond de leur confiance.

7 réflexions sur “ET LES VIVANTS AUTOUR, Barbara Abel – Belfond, sortie le 5 mars 2020.

  1. Yvan dit :

    Tu décris parfaitement la puissance et la réussite de ce formidable roman !

  2. Aude Bouquine dit :

    Très belle réussite qui fait réfléchir… n’est ce pas ?;-)

  3. Yvan dit :

    un peu (beaucoup) 😉

  4. J’étais déjà convaincue par l’avis d’Yvan, mais tu confirmes…

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