Aude Bouquine

Blog littéraire

Je ne vous raconterai rien du dernier roman de Stephen King… Ou alors, pas grand-chose… Ou alors, juste un petit quelque chose pour vous donner envie de l’acheter, si ce n’est pas déjà fait ! Lui et moi, c’est comme une relation de couple : parfois, c’est l’hôtel du cul tourné, parfois c’est love me tender. C’est plus souvent l’un que l’autre, mais c’est vrai qu’on a passé quelques années sans se voir, lui et moi. C’est l’année dernière que l’histoire folle a repris, avec la sortie de « l’outsider ». Comme dans tous les couples, parfois on s’engueule… et parfois la communication est rompue. Il faut savoir se quitter pour mieux se retrouver. Il met une année à nous écrire un roman, j’ai mis 3 jours pour lire 600 pages. Les calculs sont pas bons Stephen, mais je te rassure, tu mets bien des paillettes dans ma vie.

C’est avec ses yeux de 72 ans que l’auteur nous entraîne encore une fois dans les méandres de ses obsessions : les enfants et leurs destinées, les dons particuliers, notre monde actuel. Si vous le suivez sur twitter, vous savez qu’il se sent très concerné par l’actualité politique, notamment l’élection de Donald Trump et les dégâts collatéraux inhérents à son élection. La réalité est son terreau de réflexion. Il a récemment annoncé qu’il se retirait de Facebook : trop de fake news et de contre-vérités. Dans « l’institut », il développe cette manipulation des masses, mais aussi cette secrétomanie gouvernementale qui organise des expériences soi-disant pour sauver le monde.

La présentation des personnages est encore une fois au carré. Dès les premières pages, c’est un monde imaginaire fabuleux qui s’ouvre sous nos pieds. Imaginaire, mais tellement réel, dans le sens crédible ! Si la ville qu’il a choisie pour asseoir son texte est d’un « ennui monochrome », il déploie pourtant toute une palette de couleurs envoûtante  sur les émotions humaines. De plus en plus, je m’interroge sur son rapport à l’enfance qui résonne comme une éternelle fascination, pièce maîtresse de son œuvre colossale. Sans jamais lasser, il parvient à emporter son lecteur vers une nième histoire où des enfants dotés de dons surnaturels sont exploités pour leurs aptitudes. Le choix du lieu de l’action n’est pas anodin : une petite ville où règne encore une forme de solidarité par opposition à une grande mégalopole où individualité rime avec égoïsme. Faut-il y voir une forme de désespérance du genre humain habitant dans les grandes villes où les hommes s’amassent pour ne transmettre qu’une pensée unique initiée par des informations médiatiques données à outrance ?

Stephen King reste un conteur hors pair, à l’imagination débridée apportant à la fois réalisme latent et fantasmagorie cruelle. De quoi rallier une nouvelle génération de lecteurs qui découvriront a posteriori les premiers titres de son œuvre, feront des parallèles, dégageront des problématiques. Des thématiques qui résonnent comme des mantras offrant un style très visuel à sa narration expliquent sans doute le succès des séries et films tirés de ses romans, pas toujours réussis. D’aucuns affirment que le King est vieillissant, que l’ephad est proche ou que le maître de l’horreur qui nous faisait frémir de peur dans certaines scènes se ramollit du genou. Son esprit n’a jamais été aussi affûté, mis en relief par l’avantage de l’âge, une perception plus mesurée et plus juste de la vie. La mécanique selon laquelle l’homme peut influencer son destin par la prise de décisions dictée par son libre arbitre est implacable. Sans doute une façon habile de sensibiliser l’homme sur son extraordinaire potentiel. Une volonté incantatoire de croire encore dans le genre humain ?

Vous l’aurez compris, l’institut est une œuvre riche qui met en lumière le talent sans cesse renouvelé d’un écrivain à l’imagination fertile, mais qui tire pourtant ses intrigues dans les racines de notre réalité. De quoi frémir encore… de quoi réfléchir encore… de quoi s’interroger sur notre monde et sur notre place dans celui-ci. Au final, prendre les romans du King pour de simples romans de distraction serait commettre une grave erreur…

9 réflexions sur “L’INSTITUT, Stephen King – Albin Michel, sortie le 29 janvier 2020.

  1. Yvan dit :

    Tout est dit et bien dit sur ce magnifique roman, merci Aude !

  2. tomabooks dit :

    Magnifique chronique 🖤

  3. Aude Bouquine dit :

    Merci pour ce que tu sais 😉

  4. Aude Bouquine dit :

    Merci beaucoup ! Très touchée 😉

  5. Yvan dit :

    pour te dire que je ne connais pas l’expression « l’hôtel du cul tourné » ? 😉

  6. Aude Bouquine dit :

    Voilà 😉
    Maintenant tu vas y penser 👍

  7. Pas encore acheté, mais ça ne saurait tarder…

  8. Anne Burgeon dit :

    j’ai rarement lu une critique aussi claire, pertinente et intelligente. Merci.

  9. Aude Bouquine dit :

    Merci beaucoup pour ce beau compliment qui me touche !!

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