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ET TOUJOURS LES FORÊTS, Sandrine Collette – JC Lattès, sortie le 2 janvier 2020.

Corentin est l’enfant dont on ne veut pas, celui qui dérange, le balluchon inutile et encombrant qu’on se trimbale, le colis qu’on laisse ici ou là pour s’en débarrasser. Espoirs déçus, absence d’affection d’une mère, c’est dans les forêts où habite Augustine qu’un semblant de vie peut recommencer. Sous ses airs revêches, la vieille femme le prend sous son aile et l’aide à grandir. Jusqu’aux études à la grande ville. Jusqu’à ce fameux soir où le monde brûle, s’autodétruit, où la terre, rejette ses pensionnaires égoïstes. Protégé par les catacombes, miraculeusement en vie, Corentin découvre alors ce qui reste du monde : rien. Il est seul. Il pense à Augustine. Il marche vers les forêts. Là où tout a commencé…

Sandrine Collette change d’éditeur, mais Sandrine Collette reste Sandrine Collette. Sa plume vertigineuse exacerbe chaque émotion qui s’infiltre en chacun de nous avec une force inouïe. « (…) des fragments, des morceaux, des plaintes, une destruction méthodique et sauvage, un piétinement sans nom. » Pas aisé d’écrire une chronique à la mesure de ce brasier émotionnel qui asphyxie telle une vague, avec violence et impétuosité, se déchaînant dans vos tripes comme un tsunami ou une tornade emportant tout sur son passage. Impossible de se tenir à distance de ce personnage, Corentin, qui force courage, espoir et admiration, rendant parfois ses actes honorables, parfois infâmes. « Quand il s’agit de survivre, on trouve en soi des ressources insoupçonnées, des forces impossibles. Quand il s’agit de survivre, on ne trébuche pas : on ne tombe qu’au dernier moment. »

Cette thématique, la nature qui se déchaîne avait déjà abordée par l’auteur sous un angle différent, celui des enfants, dans « Juste après la vague ». L’animalité de l’homme est son territoire. Des existences qui flirtent entre indignités, inhumanité, le tolérable et l’intolérable, l’acceptable et l’inacceptable. « Et toujours les forêts » est le récit d’une survie, celle de Corentin d’abord, celui dont personne ne voulait, mais aussi la survie de ce qu’il reste de l’humanité. « Le monde était une immense poussière. » Et Corentin marche, seul, anxieux, vers le seul endroit l’ayant un jour accepté, les forêts. Dans ce face à face avec lui-même, au rythme de ses pas, au tempo du souvenir de l’enfance où il a tant bien que mal essayé d’ancrer ses racines, il espère, il doute. Un cri silencieux dans un monde silencieux où « Il n’y avait rien à entendre. »

Quand tout s’effondre, quand tout est mort, quand même les sons ont disparu, l’homme est-il toujours un homme, étranger sur sa propre terre ? Faut-il reconstruire ce monde dont on a été chassé ou accepter de le laisser disparaître ? Corentin reste le seul phare d’un destin humain tragique et ses décisions impliquent l’humanité toute entière. Sandrine Collette pose la douloureuse question du choix « Le monde ne voulait pas qu’on le refasse et il avait tué les vivants une bonne fois pour toutes; histoire qu’on lui fiche la paix. » C’est sans compter l’obstination et la détermination intrinsèque de l’humain : survivre. « Il serait celui qui tient les autres, et que personne ne tient jamais. Celui qui donne la main — pas celui qui la prend. Celui qui enveloppe, qui rassure, qui fait face, alors même qu’il crève de peur, de froid et de fatigue, celui sur lequel on compte et qui compte les heures qui le séparent du soir et les jours qui le séparent de la mort, là où l’on s’arrête, où l’on se repose enfin, oubliant qu’il faut mentir et être fort, et grand, et increvable. »

Roman très noir, post-apocalyptique, l’auteur fait le choix de ne pas expliquer les causes de la fin du monde, elle laisse se dérouler le temps : 18 années. « Car dorénavant, c’était sûr, il y avait un avenir. Et au fond, c’était peut-être cela, la pire des choses. » À quoi est réduit l’homme quand tout a disparu ? « Ils avaient vécu comme des animaux, mus par le seul désir de survivre : boire et manger, se reproduire. Faire en sorte de durer, que les années s’écoulent, même s’il fallait en passer par les privations, l’inconfort, l’absence d’avenir. »  L’animalité de l’humanité reste un thème phare dans l’œuvre de Sandrine Collette, sans doute est-ce là l’un de ses principaux questionnements, méritons-nous réellement le banc sur lequel nous sommes assis ?

Et pourtant… dans ce récit dystopique, noir d’encre, dans lequel « Le monde avait cessé de bouger », une forme de sollicitude lumineuse jaillit. Le besoin de lutter, vivre chaque jour comme si c’était le dernier, décuplé par cet incommensurable espoir de voir renaître une forme de vie différente, donne au roman les airs d’une chanson que l’on recommence lentement à fredonner, même lorsque chaque acte du quotidien devient un combat. « Mais il n’y avait pas de place pour la fatigue et le découragement, pas de place pour les plaintes et les larmes. Il fallait lutter, tout le temps. »

J’attendais ce roman avec grande impatience. J’en attendais chaque mot et chaque virgule. J’attendais chaque explosion d’émotion. J’attendais que mon cœur soit mis à sac. J’attendais que mon cerveau bouillonne, que ma peau frissonne, que le désespoir m’étreigne et que l’espoir me submerge. Je n’ai pas été déçue du voyage proposé par Sandrine. Plus rien n’a existé le temps d’un livre. Il n’y a eu que Corentin et sa fièvre de vivre, que Corentin et ses découragements passagers, que les forêts nues abritant cette âme de conquérant.

Je n’emploie pas souvent le mot de chef-d’œuvre. Celui-ci en est un. Une œuvre capitale dans la bibliographie de Sandrine Collette, une œuvre magistrale qui recentre l’humain au cœur de l’humanité, avec ses forces et ses faiblesses, ses espoirs et ses désillusions. Merci Madame. Merci aux éditions JC lattes de leur confiance.

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