Aude Bouquine

Blog littéraire

Saint-Étienne, juillet 2017. Karim Bekkouche, dit Bek, chef de la BAC, enquête sur la disparition mystérieuse de la fille d’une amie, Inès Ouari. En Savoie, c’est une joggeuse qui disparaît, Marion Testud. Jacques Canovas, ex-flic aux mythiques RG, recyclé dans la presse à faits divers est envoyé sur place par son rédacteur en chef. L’un flic, l’autre journaliste, méthodes différentes, mais objectifs similaires : le besoin de savoir. Lorsque de vieux « cold case » refont surface, c’est ensemble, malgré tout ce qui les sépare, qu’ils font front.

Ivan Zinberg est capitaine de police. Il aura fallu qu’il soit publié chez Cosmopolis pour que je découvre sa plume, et soyons honnête que je m’y intéresse. Sans vouloir faire du prosélytisme, je n’ai pas d’actions chez Ring, cette maison d’édition fait le job, et elle le fait bien ! D’abord, elle envoie les romans aux blogueurs en temps et en heure, premier bon point. Elle leur laisse le temps de les lire, second bon point. Enfin, elle met la lumière sur des auteurs aux multiples talents qui forment, pour moi en tout cas, une nouvelle génération d’auteurs qui feront la différence dans la littérature noire. Après un week-end passé à Bruxelles, Salon de l’iris noir, j’ai eu la chance d’en rencontrer 4, de constater à quel point ils sont accessibles (eh non, ils n’ont pas la grosse tête !), gentils et incroyablement reconnaissants du boulot non rémunéré que nous faisons nous, les blogueurs à tenter avec perversité le lecteur lambda de les découvrir.

Digression terminée ! Je disais donc, Ivan Zinberg est capitaine de police. Ceci explique certainement la précision de son intrigue dans le déroulé des opérations. Il sait de quoi il parle. Excellent point puisque j’ai eu, et cela durant toute ma lecture, la sensation de voir se dérouler un film d’Olivier Marchal. Je sais, je vous saoule avec Olivier Marchal, mais en matière de polars français, pour moi, on ne fait pas mieux : c’est affûté, acéré et tranchant. Écriture singulièrement cinématographique donc où la précision des descriptions jouxte la précision des émotions. Rien n’est laissé au hasard dans cette profession où l’abject quotidien flirte avec la vie intime. Bek et Jacques ne sont que des hommes, empreints d’humanité malgré les horreurs vécues et la lie humaine fréquentée. Derrière les carapaces se cachent des âmes fatiguées aux bleus nombreux, aux coups reçus, aux affaires manquées.

« Jacques se dit qu’ils avaient des points communs. Chacun composait avec une vie privée compliquée et n’était pas disposé à s’en ouvrir. Un phénomène fréquent au sein de l’institution. À la maison poulaga, monde rude et viril où l’on se devait de rester fort, on ne montrait pas ses faiblesses et ses doutes. L’autre similitude était leur amour du métier. Lui n’exerçait plus, mais son âme demeurait celle d’un policier. Il ressentait une abnégation similaire chez Bek. Tous deux appréhendaient le côté sombre de l’être humain : lui en couvrant des faits divers, Karim en travaillant comme flic. Ils affrontaient les mêmes horreurs, palpaient et façonnaient la même matière noire, nourrie de violence et de sang. »

Nième « couple » de flics me direz-vous… Détrompez-vous ! Ces deux-là, ont ce petit quelque chose en plus, une solide appartenance au monde réel sûrement, qui fait que le lecteur adhère immédiatement à leurs histoires respectives, et les suit dans leurs quêtes. Unis par un passé écrasant, des émotions à fleur de peau, ils poursuivent leurs affaires chacun de leur côté jusqu’à leur rencontre page 318 seulement ! Ce sont surtout deux personnages qui fonctionnent à l’instinct, guidés par une forme de 6e sens qui sort de leurs tripes et qui vient se heurter à la réalité terrain. Forts de leurs intuitions, d’autres diraient de leur flair, ils avancent, comme guidés par la force impétueuse de leurs tripes. Je crois énormément à cet instinct d’une forme quasi supérieure, qui vous fait prendre une direction plutôt qu’une autre, sans possibilités de factuellement l’expliquer. Par cette façon de développer ses personnages, Ivan Zinberg m’avait ferrée !

 Le récit est articulé autour de l’alternance des enquêtes. Ce genre d’exercice, périlleux, dans lequel il est facile de se vautrer, génère ici un intérêt équivalent du lecteur pour une enquête et pour l’autre : il est ici parfaitement neutralisé. C’est la maîtrise de ce procédé compliqué qui rend le lecteur accro, car l’auteur nous accroche dès les premières pages à l’humanité de ses personnages. Ils pourraient faire partie de nos vies, ne sortent pas d’un Marvel, n’ont rien de super héros, ils sont faits de chair, de sang.

Ce roman s’ancre puissamment dans une époque : la nôtre. Vous y trouverez par exemple de nombreuses références littéraires des grands maîtres américains du polar (de quoi augmenter vos piles à lire), des noms de séries actuelles, des références aux monuments du cinéma français. L’environnement n’est pas lisse, il est diablement vivant et laisse l’empreinte d’une période.

Qu’en est-il de l’enquête ? Elle se greffe dans cette atmosphère construite de main de maître, par un auteur qui baigne dans le milieu. Ne vous attendez pas à des twists de malade mental toutes les 3 pages, il a parfaitement compris que le twist à outrance n’est pas la clé du polar réussi. La grande originalité réside dans la révélation du nom du tueur à la page 381 quand le livre en fait 458 ! C’est à ce moment précis que la lectrice avide que je suis se demande, à juste titre, ce qu’il va bien pouvoir nous raconter dans les 77 pages restantes !! Je vous laisse le découvrir, mais force est de constater qu’il en a sous le pied, car je n’avais encore jamais lu un polar où le nom du criminel est révélé aussi tôt sans provoquer un ennui intersidéral jusqu’à la fin.

Si je ne vous ai pas convaincu de lire ce bouquin, je rends mon tablier de blogueuse blonde et je retourne dans ma cuisine… Oui, certains aimeraient beaucoup que j’y reste d’ailleurs dans ma cuisine et surtout que je me taise… Ce n’est pas gagné les gars, je vous le dis de suite, il n’est pas né celui qui va me faire taire.

Je souhaite à Ivan Zinberg, un succès colossal pour ce livre qui a parlé à mes tripes, et pourquoi pas (rêve doux) une collaboration future avec Olivier… Oui je sais, je vous saoule 😉

9 réflexions sur “MATIÈRE NOIRE, Ivan Zinberg – Cosmopolis, sortie le 7 novembre 2019.

  1. J’aime bien ta popote moi !!😂😇

  2. Aude Bouquine dit :

    Tu veux que je retournes dans ma cuisine ?? C’est ça hein ??? Je peux lire et faire la cuisine en même temps, oui Madame 😉

  3. C’est bien connu on peut tout faire en même temps et on réussit toujours du premier coup !!😂😂😂

  4. Laurence D dit :

    Merci encore une tentation va falloir que les journees soient plus longues

  5. Il est arrivé dans ma boîte aux lettres ce matin ! J’ai encore plus hâte de lire après cette chronique !

  6. Hedwige dit :

    Bon c’est une critique fouillée et captivante et voilà un livre de plus dans ma PAL déjà haute comme la tour Eiffel. Dois-je donc te dire merci ou zut ? 😉

  7. Aude Bouquine dit :

    Je prends le merci c’est plus agréable 😉
    Bonne lecture alors !!!

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