Aude Bouquine

Blog littéraire

Adam Sandel est prêtre à Lund, petite ville de Suède. Si « C’est un drôle de métier que le mien, où la mort et la vie se serrent la main sur le pas de la porte », c’est encore plus étrange qu’il soit marié à Ulrika, avocate, qui jongle fréquemment avec les interprétations de la vérité. Leur fille Stella, 19 ans, atypique, ayant « un sacré mal à tenir la bride de ses émotions », souvent empreinte à des accès de colère très violents est accusée du meurtre de Christopher Olsen, tué de multiples coups de couteau. Le chemin de la vérité est un enfer pavé de bonnes et de mauvaises intentions… Adam et Ulrika vont très vite en prendre la mesure.

À la lecture de la 4e de couverture, il est aisé d’imaginer qu’il s’agit ici d’un nième thriller domestique : famille plutôt aisée, enfant parfois sur la tangente qui finit par déraper… C’est la construction du roman qui apporte une certaine originalité. Trois voix se suivent pour parler du passé, du meurtre, et du présent lors du procès : le père, la fille puis la mère. Trois personnages pour trois interprétations de tranches de vie. « Il faut longtemps pour construire une vie, mais un instant seulement pour la détruire. Il faut des années, des décennies, peut-être une existence pour devenir la personne qu’on est vraiment. (…) Nous sommes modelés et formés par nos essais. » Chacun y raconte donc, à tour de rôle, des souvenirs d’enfance, des conflits familiaux, de problèmes liés à l’adolescence, et ses conclusions concernant le meurtre que Stella aurait commis.

Ce qui est vraiment intéressant ici c’est de constater combien les versions peuvent fluctuer sur une même histoire. Les perceptions de chacun et les conclusions qui sont faites diffèrent en fonction de la sensibilité et du rôle dans la famille. Ainsi, la voix du père, prêtre de son état, celui qui a passé un accord tacite avec Dieu est, à mon sens, celui qui a les plus belles réflexions sur la parentalité. « Être parent, c’est ne jamais pouvoir se détendre. » C’est celui qui pense avoir établi avec sa fille un lien de proximité quand la réalité des mots de Stella dépasse très largement ce qu’il pense être « sa vérité ». Il représente aussi le parent qui doute mû par cet étrange pressentiment que techniquement, à cause de colères récurrentes, Stella aurait pu commettre ce meurtre. La mère, elle, détient une vérité plus « judiciaire », froide, détachée. Elle est sur une nième affaire, confrontée aux mensonges et aux vérités, pilotée par une seule motivation : prouver l’innocence de sa fille. Elle est déshumanisée, a verrouillé toute forme d’émotions susceptibles de l’atteindre, pour se protéger. Elle a même des réactions totalement incompréhensibles pour une lectrice féminine, mère de surcroît. La voix de Stella est la plus émotionnelle, celle qui sonne le plus juste puisqu’elle détient le mot de la fin. Adolescente en souffrance, en transformation, en devenir, elle a cette phrase terrible « Mon cœur ne sent rien du tout. Il bat, c’est tout. », mais elle est la plus attachante et aussi la plus troublante. Connaissons-nous réellement les ados qui jalonnent nos vies ?

J’ai trouvé dans ce roman de belles réflexions sur l’amour et les agissements qui peuvent le mettre en péril « L’amour est la tâche la plus ardue de l’homme (…) Peut-on continuer à aimer un meurtrier ? », et sur l’amitié, de ces liens « à la vie, à la mort » et qui détiennent comme une quintessence de pureté.

Évidemment, la justice et la manière de la rendre se trouvent au cœur de ce roman. « Le pouvoir de juger appartient aux gens, quoi qu’en dise l’institution judiciaire, et le tribunal du peuple est loin d’avoir les mêmes exigences de preuves. Je n’ai que me regarder moi-même : combien de fois n’ai-je pas douté quand un suspect de crime était relâché faute de preuve ? ». L’instillation du doute est prégnante dans tout le récit et contribue à aiguiser la recherche entre vrai et faux, par l’intermédiaire de ces personnages qui ne sont qu’humains. L’auteur maîtrise parfaitement la narration de petits agissements passés sans conséquence qui deviennent des armes de destruction quand vient l’heure d’un procès où il s’agit de démontrer une culpabilité. En dressant le portrait d’une jeune fille loin d’être parfaite, ayant commis quelques exactions, le travestissement de la vérité semble être chose aisée. Le mensonge est un art. Autant pour l’accusé que pour l’accusation. Celui qui gagne est celui qui s’en sert le mieux. « L’expérience m’a appris que le mensonge est un art que certains maîtrisent et d’autres pas du tout. »

Qui peut se targuer de faire partie d’une famille normale ? D’ailleurs, c’est quoi une famille normale ? Certainement une famille où chacun fait du mieux qu’il peut….

#UneFamillePresqueNormale #NetGalleyFrance

3 réflexions sur “UNE FAMILLE PRESQUE NORMALE, M.T Edvardsson – Sonatine, sortie le 24 octobre 2019.

  1. couriretlire dit :

    J’ai beaucoup aimé ce livre, vraiment bien mené pour un premier roman 👌🏻

  2. Aude Bouquine dit :

    Oui et très intéressant!

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