Aude Bouquine

Blog littéraire

Dans ce roman, nous sommes dans une thématique déjà vue : la disparition d’un enfant. Nicolás a disparu voici 2 ans, et n’a jamais été retrouvé. Quand Enrique disparaît à son tour, dans la même zone commerciale, au même âge, c’est toute une communauté qui voit ses plaies se rouvrir. D’abord, celle de l’enquêtrice Ana Arén et avec elle toute son équipe, mais aussi celles de tous les parents terrorisés à l’idée de lâcher la main de leurs enfants. Le kidnappeur, surnommé Slender Man par la presse, refait surface et la traque qui va suivre sera impitoyable. Âmes sensibles, attention ! Le roman s’ouvre sur une scène extrêmement difficile à laquelle tout parent ne peut que compatir, priant pour n’être jamais confronté à ce genre de terrible décision.

Roman choral, les chapitres mettent en avant les voix des personnages clés : Inès d’abord, journaliste et écrivain, Ana inspectrice-chef à la brigade des mineurs de Madrid. J’aime particulièrement cette forme de construction lorsqu’elle est aussi bien maîtrisée puisqu’elle suscite un intérêt accru et l’envie de retrouver chaque personnage au chapitre suivant. Carme Chaparro a mis en place de beaux rebondissements en fin de chapitre, crédibles, sans verser dans la surenchère, exactement ce que chaque lecteur de polar attend. Les fins sont particulièrement bien travaillées et l’on sent la volonté de l’auteur d’y apporter un soin tout particulier.

Différence majeure avec d’autres romans évoquant la même thématique centrale, l’auteur dépeint de façon extrêmement juste la psychologie des parents, culpabilités, remords, peurs paniques de ceux qui perdent des yeux un enfant, pour répondre à un appel téléphonique par exemple. Ceux, également, qui vivent longtemps dans l’espoir de retrouver l’enfant disparu. Pas d’actions disproportionnées, de réactions emphatiques, de sentiments ampoulés, l’auteur fait preuve d’une belle capacité à retranscrire des émotions.

Outre le pitch de base qui peut laisser penser à « encore un nième » traitement de la disparition d’enfant, l’auteur trouve un beau prétexte pour aborder deux autres sujets pas dénués d’intérêt : le métier de flic, principalement lorsque c’est une femme et qu’elle a échoué dans une enquête précédente, de surcroît à la tête d’un service et celui de journaliste, écrivain d’un best-seller.

C’est ce second propos que je souhaite aborder. À l’heure où des chaînes comme BFM TV occupent le devant de la scène en matière d’informations quotidiennes, il est inquiétant de constater comment il s’agit « de meubler des heures d’antenne et les pages des journaux. De balancer de la viande aux chiens. » Des images volontairement triées sur le volet, de préférence anxiogènes et des propos qui tournent en boucle même lorsqu’il n’y a rien à dire. Avez-vous constaté combien ce rabâchage permanent parvient à envahir nos esprits, annihilant par le fait même toute forme de réflexion personnelle, considérant comme acquise toute information donnée, y ajoutant les images pour que nous retenions bien le propos ? Ajoutez à cela cette fascination morbide, car « (…) les gens ont besoin de leur shoot quotidien du malheur d’autrui. »  Et vous obtenez un reflet très juste de ce que représentent aujourd’hui les informations pour moi. Le reflet d’une société gangrenée par la nécessité d’informer à tout prix, de sortir des communiqués bien accrocheurs où l’on se préoccupe ni de la présomption d’innocence ni de la souffrance des gens. La bienveillance ne fait certes pas partie du langage journalistique, nécrosé par cette fascination morbide du malheur des autres, supposé faire émerger notre chance de ne pas apparaître dans le poste. « La vie telle que nous la rapportons, nous les journalistes, est rarement belle. Je devrais plutôt dire que mon travail consiste à rendre la réalité plus intéressante. Plus accrocheuse. Plus facile à digérer. Tout ce qui importe, c’est que votre information intéresse le public. Qu’il en veuille plus. »

Mais l’auteur ne s’arrête pas là, elle va beaucoup plus loin dans sa réflexion, en inversant volontairement les forces en présence. Mais cela, je vous laisse le découvrir par vous-même : le retournement de situation est à la hauteur du propos.

Dans ce genre d’exercice 100 % polar, la fin doit être à la hauteur du déroulé de l’intrigue. Ici, vous n’allez pas être déçus ! Ça vous saute au visage, tant vous ne l’avez pas vue venir ! Et pourtant… avec le recul, tout y était pour permettre au lecteur d’analyser et de déduire chaque indice donné au compte-gouttes. Une vraie belle découverte, un excellent roman plus profond qu’il n’y parait et qui évoque très bien mon humeur du moment, à savoir le ras-le-bol des procédés médiatiques qui consistent à nous enfermer dans ce carcan de la pensée unique prémâchée en distillant des informations tapageuses.

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3 réflexions sur “JE NE SUIS PAS UN MONSTRE, Carme Chaparro, Plon – sortie le 26 septembre 2019.

  1. Yvan dit :

    Quand j’ai lu le résumé, j’ai pensé « non merci, j’en ai marre de cette thématique rabâchée à l’infini ». Mais bon, ton avis me fait douter donc je note dans un coin 😉

  2. Aude Bouquine dit :

    Pour une fois, le résumé ne dit pas grand chose et c’est très bien !

  3. Lord Arsenik dit :

    Dans ma PàL, yapuka !

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