Aude Bouquine

Blog littéraire

C’est l’histoire d’une femme excessive, passionnée, sans filtres. Elle a jeté son dévolu sur M. et veut consacrer sa vie entière à l’aimer. Rien d’autre n’a d’importance, juste l’aimer. Pas d’autres buts, pas de désir de carrière, simplement l’aimer. Consacrer son temps, son énergie, son être tout entier à l’aimer. Dans le cœur de cette femme sans prénom, juste une initiale, M. comme le M. de son homme, il y a le vide ne pas avoir été aimée enfant, la rage pour un père qui a dépassé les limites, la colère contre le monde entier. M. est une femme qui vit tout intensément, dont les émotions sont décuplées. M. c’est un peu moi, c’est un peu vous…

Je suis toute-puissante, « J’aime être son ombre. J’aime être celle qu’on ne regarde pas. J’aime que ce soit lui le centre. Moi autour. Car s’il n’était pas au centre, je ne serais nulle part. » Lorsque M. rencontre M. le projet d’une vie se dessine : dédier toute sa vie à l’autre, ne vivre que pour lui, annihiler toute forme d’appartenance à soi, plonger en l’autre et n’exister qu’à travers lui. Cette femme aux émotions, aux réactions exacerbées fait penser aux hystériques d’autrefois, celles qui souffrent de l’utérus, une hystérie toute féminine. Si le projet peut paraître intellectuellement noble et un peu fou, consacrer son cœur et son corps à l’autre, pour le faire grandir, pour le faire briller, la réalité est toute autre. « Certaines journées sont longues. L’absence de M. pendant laquelle je ne suis qu’attente. » Dans ce temps de latence, elle s’invente une vie, comble les vides, se ment à elle-même et aux autres, se perd, se vomit pour mieux se remplir de Campari et de sacs à aspirateur. « À m’inventer un cerveau qui n’existe pas. » Faire briller l’autre c’est aussi enlever un peu de sa propre lumière, naviguer dans l’ombre, à vue. « Je veux plus. Plus de M. Quelqu’un qui m’aime autant que je l’aime. Qui ne tient pas debout sans mes bras. Quelqu’un qui m’aime. Quelqu’un qui m’aime. Qui me donne ma chance, ma place. Qui a besoin de moi. » L’essence même de ce roman est cette question implicitement posée à chaque page : « où est donc ma place ? » Si la réponse, à ses côtés, est limpide, les moyens d’arriver à une forme d’épanouissement personnel sont loin de l’être. Cette femme extrême, jouant avec le feu, explosive, tente toutes les expériences dans un seul but, qu’il la voit, et qu’il ne la perde jamais de vue.

Vient alors cette indécence d’exister. Enfermée dans ses colères, ses émotions excessives, son désir foudroyant de ne former qu’un, cette femme écluse toute la panoplie de rage et de frustrations menant à une colère sans limites, démentielle, pléthorique où chaque action du quotidien la suspend à un fil comme un lien ténu à une existence vacillante. M. la fuit, il faut dire qu’elle est épuisante… Elle est entière aussi, elle est un volcan sur le point d’entrer en éruption. Elle attend de l’autre autant de dévotion que la sienne, une fusion sans réserve, une idéalisation philosophique de cette passion qui ne dure pas mais se transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau mais aussi de différent. Sauf que… cette transformation ne l’intéresse pas, ce qu’elle veut elle c’est maintenir cet état de dépendance, ce manque qui la maintient en vie, le sexe incendiaire des débuts, les émotions exacerbées qui la font se sentir vivante. Elle veut l’incendie permanent, le feu qui embrase tout. « M, regarde-moi, explique-moi, sauve-moi. M, je m’éteins ; c’est toi qui as le doigt sur l’interrupteur. »

C’est une inadaptée du monde, de ces femmes qui ne transigent pas avec la médiocrité des sentiments, pas de celles qui « ramassent les ongles de pied sur le tapis, arrachés la veille par leur mari. »

Si j’ai trouvé cette femme complètement folle dans ses excès, détraquée dans son projet de rendre un homme fou d’elle, de se rendre indispensable à sa respiration, Loulou Robert est parvenue, dans un style simple, vivant et expressif à me rappeler quelques réminiscences de moi : Une femme amoureuse et dangereuse, impossible à neutraliser dans ses excès, quand ses rêves sont menacés. « Tu as toujours cru qu’elle exagérait. Personne ne pouvait aimer autant. Personne ne pouvait jouir autant. Pleurer autant. Râler autant. Être toujours debout, sur ses gardes, les yeux grands ouverts. Personne ne pouvait se détruire autant. Être aussi extrême. Exigeante. Kamikaze. Capable de tout sacrifier par amour. Tu te trompais. »

Comme M, je pense que la « colère est un puissant engrais » et qu’elle aide souvent, par un bon coup de pied aux fesses, à donner un sens à sa vie. Pas si facile de trouver un sens quand on n’a jamais vécu pour soi, quand il y a toujours eu que l’autre pour prendre toute la place… Loulou Robert dépeint avec grande justesse l’évolution d’une dynamique changeante dans le couple, quand vivre pour soi devient une nécessité vitale. J’ai beaucoup aimé comment, elle transforme ce qui a été aimé au début d’une relation, en un élément rédhibitoire. « Je le rendais animal. Pas cérébral. Ma fureur l’excitait. Aujourd’hui, il me craint. Hésite à m’appeler. Ne m’appelle plus. » Dans un couple, les choses évoluent, ce qui était tendre et délicieux devient haïssable et infernal. La poésie de ce texte réside là aussi.

Si la colère gronde pour les choses qu’on ne parvient pas à changer, avec lesquelles on se débat, qui nous bouffe de l’intérieur, nous transforme, nous fait devenir cette jumelle maléfique inconnue de l’autre, il vient aussi un temps où, par un geste, un sourire, une parole, on retrouve l’autre. «  Il ne parle pas, mais je sais. Ce soir, il a entendu mon rire. Il lui a manqué. Il s’est rendu compte des années silencieuses. De son absence. S’est souvenu de la femme dont il est tombé amoureux. (…) Elle a toujours été là. Il l’avait oubliée. »

Trouver sa place est sans doute le cheminement d’une vie. Je vous laisse découvrir comment cette femme va trouver la sienne et surtout se créer une identité. Inutile de dire que ce roman ne m’a pas laissée indifférente… Qu’il a réveillé les souvenirs de la femme de 20 ans, celle de 30, celle de 40 ! Que la passion qu’on a en soi ne disparaît jamais complètement… la colère non plus… Que la vie ne vaut d’être vécue qu’à coup d’émotions fortes qui ne laissent pas forcément de place à la réflexion. Ce roman démontre combien la version tripale d’une femme l’aide à exister, que ses émotions la guident toujours, combien le cœur peut prendre le pas sur tout le reste. Mais pas seulement… Parfois, « le nouveau moi est à l’essai. »

Loulou Robert signe ici un récit si vivant que vous le ressentez jusque dans vos chairs. C’est son quatrième roman. Elle a 27 ans et une maturité émotionnelle rare. Une écriture émotive, nerveuse, puissante, comme la vie.

3 réflexions sur “JE L’AIME, Loulou Robert – Julliard, sortie le 22 août 2019

  1. Elle n’est pas aussi bonne écrivain(e) que son fiancé, dommage..

  2. Aude Bouquine dit :

    Et c’est qui ?

  3. Ben Erwan Lahrer !

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