Aude Bouquine

Blog littéraire

En 2001, Éric Sadge a 35 ans. Il est marié à Catherine qu’il aime passionnément. Ensemble, ils ont un fils, Nicolas 7 ans. Chroniqueur pour une émission culturelle, « Culture? Vous avez dit culture! »Éric est heureux dans son travail, mais cache « un flagrant délit du désir de briller. » Un matin, il se réveille à l’hôpital après un accident de voiture. Nous sommes le… 12 mai 2017. Son dernier souvenir remonte à la veille où il emmenait son fils à une compétition de judo. Seize années sont pourtant passées… Éric a désormais 51 ans, son fils 23. Il doit réapprendre à vivre dans un monde dont il ne maîtrise plus rien : ni les nouvelles technologies, ni les évènements historiques qu’il n’a pas vécus, ni le nom des personnalités émergentes nécessaires à l’exécution de son travail.

Quelle petite pépite que ce livre ! Émotions, sourires, rires, circonspection parfois aussi devant notre monde devenu fou en quelques seize années, tant par son évolution que par ses codes. C’est un régal de le découvrir dans les yeux d’Éric qui passe son temps à halluciner tant les choses ont changé…sans lui.

Tout d’abord, il redécouvre ses proches, qui ont vieilli eux aussi. Sa femme, qu’il découvre transformée, un peu plus épaissie. « A-t-il seulement envie de baiser avec cette dame », c’est la question. Son fils ensuite, qui ne trouve pas franchement grâce à ses yeux « Comment son petit garçon, si adorable, facétieux, vif, qu’il portait encore sur ses épaules dimanche dernier, a-t-il pu se transformer en cette longue chose ingrate ? ». Enfin, une blonde, bien roulée, bien artificielle, qui partage désormais sa vie et son lit et qu’il prend plaisir à sauter (n’ayons pas peur des mots) tous les soirs. « Est-il possible d’aimer quelqu’un quand on ne l’a pas choisi ? »

« Sadge voit clairement qu’une tornade a balayé le monde qu’il connaissait… ». La première partie du roman est consacrée à la découverte du monde en 2017 et c’est à la fois truculent et savoureux. Thierry Bizot a assurément réussi à se mettre dans les bottes d’un extraterrestre qui débarquerait dans notre monde devenu individualiste, égocentrique, pollué par d’interminables moments de pertes de temps incongrues et totalement inutiles. Imaginez que vous ne connaissiez pas les réseaux sociaux et qu’on vous en présente une version accélérée. Penseriez-vous que l’humanité est tombée sur la tête en s’adonnant à ce petit jeu pervers de l’opinion personnelle donnée grâce à un clavier d’ordinateur? « Il se dit que si les gens peuvent donner ainsi leur avis impunément, ils vont en profiter pour déverser la noirceur abyssale de leur cœur, vider le surplus débordant de leurs jalousies, de leurs peurs et de leurs indignations. » Comme les petits vieux, Éric aura cette étrange sensation que « c’était mieux avant » et c’est justement cela qui fait sourire. Seize ans, ce n’est rien finalement, mais seize ans à notre époque, équivalent à un tel bond dans les nouvelles technologies que le fossé est énorme.

L’auteur est scénariste, vous comprendrez donc qu’il fait la part belle au monde des médias, du journalisme, des nouvelles méthodes à sa disposition pour exercer son métier et de l’artificialité flagrante qui règnent dans cette sphère où tout a l’air cousu de fil blanc. « À la lecture de nombreux articles venant d’horizons variés, il semble à Sadge que le ton avec lequel tous ces évènements sont exprimés se soit singulièrement uniformisé, comme si une caste prédatrice et invisible avait pris le contrôle de la parole publique et médiatique. On a le sentiment que tout est dit d’une façon monocorde, sans saveur, sans odeur ni couleur, sans dissidence possible, sans poésie non plus, sans surprise. » Tiens donc, éclair de lucidité, notre monde serait-il devenu celui du politiquement correct ? Une sorte de dictature de la pensée unique ?

Éric découvre surtout qu’il n’est pas l’homme qu’il croyait être et il se pose de nombreuses questions sur lui-même, ses réactions, les choses faites et défaites. Quelques actes inexpliqués et mystérieux font irruption dans sa nouvelle vie et provoquent un besoin impérieux de vérité. Lui qui rêvait de devenir célèbre et avait le désir de briller en 2011 participe aujourd’hui à cette « télévision qui semble s’être rapprochée des téléspectateurs, pour l’appauvrissement des deux parties. », se gavant de courbettes comme s’il était devenu un Dieu télévisuel.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Thierry Bizot exploite la perte d’identité à travers la perte des souvenirs, laissant planer cette idée sous-jacente que ce qui nous construit et nous aide surtout à grandir sont les expériences et leçons tirées de ces souvenirs. La personnalité médiatique en vogue n’a de sens que lorsqu’elle est complète, englobant les souvenirs d’un temps passé pour analyser le temps présent. L’auteur apporte également de belles réflexions à la question « pourquoi se quitte-t-on ? » La réponse est si évidente et englobe tant de lucidité « Ils avaient juste cessé de vivre tout à fait la même vie. » Enfin, allez savoir si l’amnésie partielle apparaissant comme une tare handicapante n’est pas plutôt un service qu’on se rend involontairement à soi-même. Une certaine possibilité de recommencer les choses en prenant conscience de celles essentielles. Ce roman questionne habilement la place des souvenirs dans une vie et notre propension à s’entourer des bonnes ou des mauvaises personnes, par choix ou par obligation.

C’est un roman caustique et tendre, qui vous fera passer un agréable moment de lecture.

#UnPetitCoupDeJeuneTvThrillerPsychologique #NetGalleyFrance

 

 

3 réflexions sur “UN PETIT COUP DE JEUNE, Thierry Bizot – Le Seuil, sortie le 2 mai 2019

  1. Yvan dit :

    ça a l’air bien sympa en effet, le sujet a un fort potentiel. Du coup, cette lecture m’intéresse 😉

  2. Aude Bouquine dit :

    Si tu as le temps de le lire, tu me diras 😉

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