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REPLAY, Ken Grimwood – Seuil, sortie poche le 1 janvier 1998

 En 1988, Jeff Winston, 43 ans meurt d’une crise cardiaque. Il laisse derrière lui un mariage qui périclite, un métier qui lui est indifférent. La vie lui donne alors la possibilité de « replay », rejouer, rembobiner et recommencer. Lorsqu’il se « réveille », il a de nouveau 18 ans, il est étudiant à Emory. Nous sommes alors en 1963. C’est l’occasion de tout recommencer, de faire mieux, de voir plus grand grâce à la mémoire conservée de sa vie précédente : appuyer sur la touche rembobiner, puis replay, rembobiner, replay, et recommencer…

« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. » Charles Baudelaire. Parfaite citation pour illustrer ce récit…

D’abord, je voudrais remercier Yvan Fauth et Frédéric Mars pour leurs mots qui m’ont donnés envie d’ouvrir ce livre que je trimbale dans ma bibliothèque depuis plus de 10 ans sans l’avoir jamais ouvert. L’auteur, Ken Grimwood est décédé en 2003, à Santa Barbara. Il faut croire qu’il n’y a pas de hasard… Ce roman devait me tomber entre les mains avant de quitter cette ville où j’ai vécu 3 ans.

Je ressors de cette lecture vidée et très très mélancolique. Tout le long, je me suis demandé quels chemins allait pouvoir prendre l’auteur pour capter mon attention jusqu’au bout, et faire de ce livre un grand livre, de ceux dont on se souvient. Imaginer un instant que Ken Grimwood puisse raconter encore et encore la même vie en prenant comme point de départ les 18 ans de Jeff me semblait très ennuyeux et laissait sourdre cette idée angoissante que le protagoniste serait prisonnier de son existence sans en être réellement l’acteur. Car oui, Jeff ne meurt pas qu’une fois : à chaque 43 ans, il décède et renaît. L’auteur n’a pas usé de cette facilité de reprendre les choses à leurs débuts : son schéma narratif est extrêmement intéressant, pour ne pas dire surprenant. Le postulat du « replay », qui donne une connotation de science-fiction au récit m’a angoissée, car mon esprit n’est pas forcément paramétré pour admettre ce type d’hypothèse : j’ai eu tort de m’en inquiéter.

Si vous avez des a priori ou des craintes, jetez-les au panier : ce livre est un bijou, un concentré d’émotions, qui va vous faire cogiter, et mettre en abîme votre propre existence.

L’auteur part donc du postulat que la première vie, appelons là point 0 est la vie des découvertes, des regrets, des « j’aurai dû », des « si j’avais su », de la frustration des choses qu’on n’a pas pu accomplir ou obtenir. Cette vie « blanche » sert de point de repère pour la construction de la vie 1, celle où l’on changera tout ce qui nous a rendus insatisfaits. La vie 1 sera celle qu’on construit presque sur mesure, une vie idéalisée qui répond à tous les codes imaginés de la vie dite parfaite : le succès professionnel, l’argent à profusion, le sexe à satiété. Un prototype de vie idyllique, exemplaire. Toucher du doigt ce tout, cet idéal, rend-il plus heureux ? Que changer dans la vie 2 ? Vous avez compris le procédé… D’abord, réinventer sa vie pour se réinventer, puis, une fois ces envies satisfaites, avoir des velléités d’interventionnisme historique, scientifique, et pourquoi pas se remplir d’une volonté profonde de sauver l’humanité. Je vous rappelle que nous sommes en 1963, aux États-Unis, une période riche où l’Histoire se construit. Réinventer sa vie et la remplir, coûte que coûte, avant de comprendre que l’essentiel est là, juste sous nos yeux, tellement présent qu’il en devient transparent. À chaque nouvelle vie, de nouveaux axes de progression, de nouveaux challenges, de nouveaux buts, mais aussi de nouveaux choix à faire. Fort des souvenirs de la précédente, des leçons tirées, il devient possible de toucher du doigt la vie parfaite, celle qui servirait d’exemple. Est-ce un but atteignable ? Réaliste ? La dernière vie sera-t-elle celle où Jeff aura tout compris ?

Ce roman est avant tout une magnifique histoire d’amour. Deux âmes sœurs qui se cherchent, se trouvent, se perdent et comprennent ensemble, la quintessence de la vie.   « Ils s’étaient figurés qu’ils auraient, à jamais, une infinité de choix et de secondes chances. Ils avaient gaspillé beaucoup trop de ce temps appréciable qui leur avait été accordé, l’avaient gâché par l’amertume, la culpabilité et la quête futile de réponses inexistantes – alors qu’eux-mêmes, leur amour mutuel, constituait la seule réponse dont ils auraient dû rêver. »

Entre mélancolie et questionnements, je referme donc ce livre, mon esprit naviguant sur les eaux du sens de la vie. Dans une période où, je décide de faire des choix, de recentrer les priorités et de les centrer d’abord sur moi-même, je m’interroge sur la manière de faire comprendre cet essentiel à ceux qui m’entourent. Et j’ai une pensée, nostalgique, pour mon âme sœur, avec laquelle je n’ai jamais l’impression de devoir beaucoup parler pour qu’elle me comprenne. Pour le moment, je ressemble à Jeff « L’esprit de Jeff était rempli de désirs d’isolement, loin des affaires quotidiennes de l’humanité. ».

On se pose souvent la question : et s’il ne devait rester qu’un livre ? Celui-là ! Si vous deviez emporter un seul bouquin sur une île déserte ? Celui-là ! Si vous ne deviez relire qu’un livre et y découvrir, à chaque fois, de nouveaux axes de réflexions ? Celui-là ! Je me note donc bien consciencieusement une relecture dans 5 ou 10 ans, histoire de voir où j’en suis avec moi-même.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire…

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