Aude Bouquine

Blog littéraire

Alex est un jeune journaliste passionné d’escalade. A l’instar de tous les passionnés faisant fi des règles de sécurité, un jour c’est l’accident. Alex se retrouve à l’hôpital dans le coma. C’est du moins par ce terme que les médecins qualifient son état. Sauf que… « Je ne parle pas, je ne bouge pas. Je ne peux pas leur expliquer que j’entends tout. » Alex est prisonnier de lui-même. On appelle cela le « locked-in syndrom ». Au moment où le roman commence, il est dans cet état depuis déjà 18 mois, une éternité. Le lecteur partage à la fois ses pensées, son quotidien dans sa chambre d’hôpital, mais également certains éléments de son passé, supposément ceux qui l’ont amené là. Rapidement, on entrevoit que la réalité de l’accident n’est pas aussi évidente qu’elle y paraît et que cette chute de plus de 20 mètres n’a peut-être rien d’accidentelle. Comment agir lorsque l’on est prisonnier de son corps ?

Ce roman aborde la thématique de l’un de mes pires cauchemars : être incapable de prendre les décisions inhérentes à ma propre condition dans le cas d’un accident ou d’une intense faiblesse, conséquence d’une saleté de maladie. D’une certaine façon, c’est comme si l’on était enterré vivant. « To be locked in », veut bien dire être enfermé, verrouillé de l’intérieur, ici de soi-même. Face aux nombreux rebondissements suscités par l’affaire Vincent Lambert, ce roman a déclenché de sérieuses réflexions sur un problème de société, oserai-je dire d’humanité.

Accrochez-vous parce qu’Emily Koch ne va rien vous épargner. Évidemment, nous sommes dans un thriller, il y a bien une enquête à résoudre, mais ce n’est vraiment pas ce que je vais retenir de ce roman. Je me souviendrai surtout de ce sentiment terrible d’oppression, d’impuissance, de soumission aux autres. Alex « vit » grâce à une trachéotomie qui l’aide à respirer et une sonde qui le nourrit. Son corps est inerte, mais son cerveau fonctionne. Avec ce dernier, l’auteur lui attribue le droit de conserver 4   sens : l’odorat, le toucher, l’ouïe, le goût virtuel basé sur des souvenirs. À mon sens, une belle définition de la torture… J’en oublie un, qui ne fait pas partie du package des 5 sens : la douleur. Parce que oui, Alex souffre. « Imaginez qu’on vous glisse des lames de rasoir dans la gorge comme si c’étaient de simples gouttes de miel. » La présence de crampes régulières, dues à son corps allongé le terrassent de douleur. Une crampe ce n’est pourtant pas la pire des douleurs, et pourtant, la façon dont elle est décrite et les incidences qu’elle provoque vous laisse sur le carreau. Souvenez-vous simplement de ce type de douleur. Imaginez que vous ne puissiez pas vous lever, encore moins crier, juste subir. «J’ai poussé un nouveau hurlement silencieux. »

Parallèlement à la douleur physique, Alex souffre psychologiquement, et de manière épouvantable. D’abord, par l’absence de souvenirs qu’il a de son accident, par l’incompréhension de sa situation, mais aussi et surtout par l’impossibilité des autres à imaginer ce qu’il vit : les gestes brutaux du personnel hospitalier, les surnoms dégradants, les changements de positions qui le laissent souvent coincé d’un bras, ou d’une jambe. Supposé se trouver dans un état végétatif, sans conscience, sans possibilités d’entendre, de comprendre ou de sentir par les médecins, Alex se retrouve à la merci des autres. Il est non seulement dépendant, mais aussi victime de ses bourreaux inconscients. La vie à l’hôpital rythme ses journées apportant chaque jour son lot de frustrations : les visiteurs qui parlent de lui comme s’il n’était pas là, qui mangent, transformant chaque odeur en une véritable torture, la soif permanente, la faim tiraillante provoquée par les odeurs. « Je ne rêvais pas, là ? Ils allaient manger de l’indien à emporter sous mon nez. Les plats dégageaient un fumet divin. J’en ai eu l’eau à la bouche. J’avais déjà soif, comme d’habitude, et mon estomac s’est mis à gronder de jalousie. Comment vous pouvez m’infliger ça ? »

Alors, évidemment ce roman met le lecteur devant le même choix impossible que celui infligé à Alex : se battre et vivre, laisser aller et mourir. L’auteur impose à son protagoniste d’explorer ces deux possibilités en les faisant évoluer au gré de son intrigue et des informations découvertes. Le résultat est saisissant… et terrifiant. Emily Koch excelle dans la retranscription des douleurs physiques qui assaillent Alex, des tourments moraux,  mais surtout de cette incommensurable, intolérable impuissance qui transperce chaque page et m’a littéralement fendu le cœur.

Je termine en vous disant qu’évidemment, le spectre thématique qui rôde sans cesse est celui de l’euthanasie. J’ai beaucoup pensé à Vincent Lambert… La première interrogation qui a surgi était de savoir s’il souffre, et s’il est conscient. J’espère que non, dix ans c’est long. « Décris-moi les émotions que tu as ressenties au cours du cheminement qui t’a conduit à décider de mourir. L’élément principal (répondait mon moi hospitalisé), c’est que je passe un temps fou à me rappeler les sensations que j’éprouvais en faisant des choses. Faire, voilà ce qui me manque. »Vous vous ferez, j’en suis sûre, votre propre opinion si vous décidez de me faire confiance en lisant ce livre.

Si l’exercice était périlleux, la fin m’apparaissait comme une mission impossible  : difficile pour l’auteur de s’en sortir. Je redoutais un scénario, en espérais un autre. Je ne vous divulgâcherai rien, mais je veux bien en parler avec ceux qui auront le courage de s’attaquer à ce roman. C’est un récit extrêmement réaliste, angoissant, qui laisse l’imagination vagabonder aux conséquences d’être enterré vivant à l’intérieur de son propre corps.

Outre le fait de m’avoir sortie d’une énorme panne de lecture, ce thriller est diablement réussi, jouant sur nos peurs, naviguant dans les limbes de la vie et de la mort, « quelque part entre l’éveil et le néant. »

#IlétaitUneFoisMonMeurtre #NetGalleyFrance

11 réflexions sur “IL ETAIT UNE FOIS MON MEURTRE, Emily Koch – Calmann-Lévy Noir, sortie le 29 mai 2019.

  1. Oh, seigneur, c’est d’actualité. Je peux partager ta chronique sur FB ? Lien vers ton blog ?

  2. Aude Bouquine dit :

    Oui bien sûr

  3. Yvan dit :

    ça me terrorise aussi… Imaginer cette situation m’est juste insupportable…
    Je note le livre dans un coin, le jour où j’aurai le courage de m’y confronter; Pas maintenant…
    Merci pour les émotions dégagées dans ta chronique

  4. Magnifique ton texte Aude. Le sujet me fais un peu peur (comme beaucoup) mais ce que tu en dis suscite réflexions et questionnements. Merci !

  5. Lord Arsenik dit :

    Je suis en plein dedans (le bouquin pas le LIS). Le sujet me passionne donc ça devrait passer comme une lettre à la poste.

  6. Lord Arsenik dit :

    Je te rejoins à 200% sur ton ressenti. Ce bouquin est une tuerie !!! Superbe performance de l’auteure.

  7. Aude Bouquine dit :

    Je suis trop contente ! J’ai lu ta chronique 😉

  8. Lord Arsenik dit :

    Jusqu’au bout j’ai flippé pour la fin (il y a ce que l’on souhaite et ce qui peut être), c’est juste sublime.

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