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TROUBLE PASSAGER, David Coulon – French Pulp, sortie le 11 avril 2019

Il y a un écrivain qui se promène en toute liberté, et qu’on laisse s’infiltrer dans nos esprits en toute quiétude…. Il avait déjà frappé récemment avec « Je serai le dernier homme », il récidive avec « Trouble Passager », un titre inoffensif qui ne laisse rien présager de ce qui nous attend. C’est un peu du genre, il se baladait en chantant lalala et tout à coup, il te fiche son poing dans la figure. Rémi Hutchinson, ancien prof, écrivain un peu spécial (titre de son roman : L’invasion des crapauds des profondeurs – ça vous donne une idée) vit à Yvetot, Normandie. Il est marié avec Lucie, prof elle aussi. Ils ont fui la région du Havre pour une raison indéterminée. Dès le départ du roman, quelque chose ne tourne pas rond. Ma fille dirait qu’il a un « bad karma », on est très loin de la vérité….

Je réitère mes warnings : ne lisez pas la 4e de couverture !! Je ne l’ai pas lue, je ne savais pas de quoi parlait le roman et quel bonheur d’en découvrir la thématique au fil de la lecture.

David Coulon c’est d’abord un style vraiment singulier dans l’écriture. J’ai envie de la comparer à la formation d’une tornade : d’abord une base large, angoissante, qui avance lentement. Puis, un tourbillon se forme grâce aux répétitions de plus en plus nombreuses, de retours à la ligne, parfois simplement pour quelques mots. Enfin un vent agité, porté par une voix interne, en italique, qui martèle ses mauvaises pensées, et rappelle son vécu. Tout cela prend de la vitesse, tourne, ramasse poussières et débris, présent et passé, mélange, vrille, grossit pour exploser dans un final qui laisse le lecteur exsangue. Le spectre du drame qui plane tout au long du roman ne trouve sa résolution qu’en toute fin de récit dans quelques pages qui révèlent toute l’horreur de la situation. Et là, le lecteur referme le livre en hurlant des grossièretés.

« Souviens-toi de n’importe quel moment de ta vie. Un moment gai. Un moment triste. Une situation de travail. Une rencontre amoureuse. Tu as toujours été victime. Ou bourreau. Rien d’autre. Tu as souffert, ou fait souffrir. L’un ou l’autre.(…) Le monde se divise en deux catégories. Bourreau et victime. Et tu es l’un et l’autre. L’un puis l’autre. »

Ces deux mots, victime et bourreau sont le centre névralgique du roman. L’histoire tourne autour d’eux. À quel moment est-on l’un ou l’autre ? Quand on a été victime, devient-on bourreau ? David Coulon déroule son intrigue en prenant appui sur ces deux mots-là et il parvient à obtenir un résultat qui va dépasser toutes vos certitudes. Comme dans « Je serai le dernier homme », il y a toujours cette notion d’être au mauvais endroit au mauvais moment, ou de prendre la mauvaise décision, délibérément, alors que l’on sait pertinemment que ce n’est pas la chose à faire, mais sans pouvoir s’en empêcher. C’est comme ça qu’il ferre le lecteur. En le mettant dans la confidence, en le plaçant du côté du raisonnable, en livrant, en italique, les circonvolutions cérébrales d’un être humain déchiré entre son bon et son mauvais génie. Il faut deux secondes pour que la vie de Rémy bascule, d’un côté ou de l’autre, et c’est suspendu à cette réalité-là, que le lecteur navigue.

Tout part d’un trouble passager. Une petite once de désir, même pas un début d’érection, trois fois rien. Un corps qui se réveille comme après un long sommeil, une idée banale qui traverse l’esprit.

L’auteur met en lumière ce besoin de l’homme de se mettre en danger pour faire naître une émotion, parvenir à en ressentir juste une infinitésimale trace, quand les drames de sa vie l’ont rendu léthargique et anesthésié. Rajoutez à cela une bonne dose de culpabilité, la douleur de l’absence, les secrets de l’adolescence et vous obtenez un cocktail détonnant à la sauce Coulon.

Rares sont les romans où, lorsque vous avez terminé, vous avez envie de recommencer. Juste pour prendre conscience des mots, être sûr que tout était bien là, mais que vous n’avez pas su ou voulu voir, que l’auteur ne vous a pas berné. L’intrigue est diabolique, le dénouement pervers, la dernière idée provoque la chair de poule.

Ce roman est un immense coup de cœur et une véritable réussite ! Âmes sensibles, prenez garde à vos nuits 😉

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