Aude Bouquine

Blog littéraire

Le tronc d’un homme démembré et brûlé est retrouvé au Col des Goules. Il lui manque la tête, les membres, et son attribut sexuel. Virginie Sevran fraîchement débarquée de Paris a demandé sa mutation dans cette région auvergnate et c’est avec cette affaire qu’elle va faire ses armes en terre « hostile ». Bien loin du 36, c’est un milieu très rural qui l’attend, avec ses petits commérages, ses rumeurs, à la rencontre de gens étranges qui ne sont pas ce qu’ils paraissent être. Parallèlement à la découverte de ce corps, François Renon disparaît.

Découvrez donc la famille Renon, une famille tout à fait charmante sous bien des aspects. Au jeu des 7 familles, je demande le grand-père, à la tête de l’entreprise familiale, décédé. La grand-mère, a élevé 3 enfants en oubliant de les aimer, et en leur filant des baffes, surtout aux filles. Le fils, François, beaucoup de défauts, très peu de qualités : il trompe sa femme et le clame haut et fort, se rend régulièrement dans des bordels, boit comme un trou et coule l’entreprise familiale. La belle-fille, femme de François, Catherine, sous l’emprise de son mari est totalement m’en-foutiste sur ce qui peut bien lui arriver (et on la comprend). Les soeurs, Jeanne et Marie ont fichu le camp dès qu’elles le pouvaient pour revenir une fois par semaine rendre visite à la mégère qui leur tient lieu de mère. Les petits-enfants enfin, dont Maxime, ado en pleine crise d’adolescence qui en veut à la terre entière et pas pour les bonnes raisons. Enfin, la soeur de Catherine, Aline bouffée par un cancer. Le roman s’articule autour de la disparition de François puis autour de l’identification du corps démembré : est-ce François ? Qui est son meurtrier ?

 

Dans la petite bourgeoisie de Clermont-Ferrand, la famille Renon est une famille bien sous tout rapport. Pas un instant, on ne peut se douter des drames qui s’y trament et du poison qui coule dans ses veines. Tous les personnages sont détestables et n’y voyez là aucune connotation péjorative sur la qualité du roman, bien au contraire. Le lecteur a envie de tous les frapper (enfin moi surtout !) Je les ai tous profondément haïs. Sans exception. Le  portrait des personnages féminins est insoutenable. La grand-mère, sorte de Tati Danielle, la violence en sus, est une chieuse absolue, aigrie, laide intérieurement, tout juste bonne à coller à l’hospice. Catherine, sa belle-fille est une carpette qui laisse passer toutes les humiliations y compris les histoires que son mari raconte à table sur ses frasques avec ses maîtresses. Les soeurs, Jeanne et Marie qui ont bien des raisons de détester leur mère, continuent à s’aplatir devant cette folle en allant lui tenir la main toutes les semaines, se prenant au passage des réflexions bien senties. Il n’y a réellement que la flic, Virginie qui sauve les meubles, au milieu de ce champ de ruine de l’espèce humaine en voie de perdition. Vive la famille en résumé, à vous dégoutter pour toujours d’en avoir une.

Le point fort du roman et certainement le but de Cécile Cabanac est le suivant : TOUS les personnages sont potentiellement coupables. Ils ont TOUS de petits secrets cachés, des squelettes dans leurs placards, des raisons précises de vouloir tuer ou d’avoir tué François Renon. L’auteur brouille sans cesse les pistes. Au fur et à mesure de l’intrigue, des personnages dont on n’avait pas vraiment anticipé l’existence font leur apparition. Cécile Cabanac noie le poisson. On finit par avoir tellement de coupables potentiels en tête, qu’on n’a plus vraiment de certitude. De révélation en révélation, le petit manège des fautifs tourne, et tourne encore, à vous en donner le vertige.

C’est un polar un peu old school, dans le style d’écriture, mais aussi à cause du lieu dans lequel se situe l’intrigue. La vie semble marcher au ralenti, nous sommes très loin des trépidations citadines, et j’ai apprécié cette sorte de lenteur du temps qui passe.

J’ai aussi particulièrement aimé la différence entre perception et réalité. L’auteur démontre fort habilement, par l’intermédiaire de la mère de François notamment, à quel point l’intériorité d’une personne peut être diamétralement opposée de l’image qu’elle renvoie.  L’aveuglement de la mère dû à une forme de dévotion qu’elle porte à son fils est d’anthologie !

Enfin, il y a plusieurs thématiques qui m’ont interpellée : « quelle est la capacité d’une épouse aimante et soucieuse du bien-être de ses enfants, à encaisser les humiliations répétées ? » Je suppose que notre curseur personnel est à chacune différent, le mien est proche de zéro. Ensuite, la descente du piédestal d’un père pour son fils. Les découvertes de Maxime en font de très beaux passages, profonds, détaillés, et très réels. J’aurais aimé que l’aspect de l’hérédité soit également exploité, mais je ne peux vous dire pourquoi. Enfin, merci à l’auteur d’avoir autorisé un personnage à se révolter !! Nom d’un chien !!! Je me demandais si cela allait finir par arriver tant mes nerfs ont été mis à rude épreuve!

Cécile Cabanac montre avec brio comment une disparition peut mettre en péril un équilibre familial déjà précaire parce que fondé sur des non-dits ou des mensonges et menacer tout l’édifice de s’écrouler. Vous savez quoi ? J’ai pris un plaisir intense à voir tout ça se casser la gueule ! Par le prisme de Virginie qui les « regarde se positionner sur l’échiquier », le lecteur contemple la bâtisse s’écrouler, avec un certain sadisme et beaucoup de délectation« Ils sont étranges dans cette famille, hein ? Imprévisibles surtout… »

Et la vôtre de famille, elle est comment ?

 

 

9 réflexions sur “DES POIGNARDS DANS LES SOURIRES, Cécile Cabanac – Fleuve Noir, sortie le 7 février 2019

  1. Yvan dit :

    Bien vu pour un premier roman, hein ? 😉
    Old school assumée, belle construction de personnages réalistes

  2. Aude Bouquine dit :

    Personnages très réalistes et bien énervants 😉

  3. Yvan dit :

    Donc réalistes ahahah

  4. Je ne connais pas merci aude

  5. Belle critique, merci Aude 🙂

  6. Aude Bouquine dit :

    Merci ! Je ne sais pas si l’auteur l’a appréciée pourtant…. sachant que cette famille m’a tapée sur les nerfs. Mais ça n’enlève rien à la qualité du roman: on peut tout à fait détester les personnages, les trouver vraiment horripilants et savourer le texte.

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